Édition du 4 octobre 2004 / volume 39, numéro 6
 
  Comment juger un génocidaire?
Au Congrès mondial contre la peine de mort, Hélène Dumont plaide pour la réduction de l'espace légal où il est permis de tuer

Hélène Dumont

Les génocides du Rwanda, de l'ex-Yougoslavie ou du Darfour sont des crimes «hors du commun» et il est bien difficile de leur appliquer les principes du droit pénal commun. Si les tribunaux pénaux internationaux (TPI) constituent des pas dans la bonne direction pour mettre fin à l'impunité des génocidaires, ce type d'organisation s'avère toutefois incapable d'oeuvrer à la réconciliation nationale et abandonne les victimes à leur sort.

Ce sont les éléments qu'exposera Hélène Dumont, professeure à la Faculté de droit, au Congrès mondial contre la peine de mort, qui se déroulera du 6 au 9 octobre à la Place-des-Arts de Montréal.

Crime collectif

Même si les tribunaux nationaux ont le pouvoir d'intenter des poursuites contre toute personne se trouvant sur le territoire national et qui est accusée de crime contre l'humanité, aucun pays ne s'est jusqu'ici aventuré à le faire. «Les chefs d'État qui ont commis des crimes contre l'humanité jouissent de l'immunité devant les tribunaux de leur pays, explique Mme Dumont. De plus, ces tribunaux sont habituellement inféodés au pouvoir politique et les génocidaires comme leurs exécutants sont souvent perçus par la population comme des héros nationaux.»

Mais en droit pénal international, l'immunité des chefs d'État n'est pas reconnue. Ce ne sont donc que les tribunaux internationaux qui peuvent se permettre d'intervenir en cas de génocide ou de crime contre l'humanité. Les TPI ont pour mandat de juger les véritables coupables, mais Hélène Dumont déplore que ce soit surtout des exécutants qui jusqu'ici ont été condamnés par ces tribunaux.

La difficulté d'épingler les véritables coupables provient des limites mêmes des principes du droit pénal. «En droit traditionnel, la responsabilité de la personne qui appuie sur la gachette est toujours plus grande que celle d'une personne qui incite au crime, souligne la professeure. Mais en contexte de génocide, où il est question de crime collectif et de criminalité idéologique, la responsabilité des têtes dirigeantes nous apparaît plus grande que celle des exécutants.»

Toutefois, ces têtes dirigeantes sont toujours assez habiles pour éviter de commettre elles-mêmes les actes de barbarie. Si les TPI appliquent les principes traditionnels du droit, ils risquent donc de s'en prendre à des boucs émissaires qui écoperont pour les autres. Selon la professeure, c'est exactement ce qui se produit avec les TPI pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie.

Le problème consiste donc à mesurer la responsabilité individuelle dans un crime collectif.  «Mais les TPI déconstruisent le sens collectif du génocide en morcelant le crime en autant d'actes individuels et en faisant fi des causes des massacres», affirme Mme Dumont.

De plus, dans les crimes de droit commun, les contrevenants ont enfreint la loi alors qu'en contexte génocidaire les exécutants sont en situation d'obéissance à l'autorité. La logique de la faute personnelle travestit donc la réalité sur plus d'un point et il serait du ressort d'une justice qui se veut socialisante d'approfondir ces épineuses questions.

Absence de réparation

Même si une partie de leur mandat est de contribuer à la réconciliation nationale, les TPI échouent aussi à cette mission parce que la question de la réparation du tort fait aux victimes n'est pas prise en considération. La seule façon que les victimes ont de se faire entendre pour exorciser leur souffrance et leur colère est de témoigner sur les détails du crime de droit commun qui les concerne.

«Il n'y a pas de commission d'expression ou d'explication de la vérité alors que la compréhension de ce qui s'est passé permettrait de chasser la peur, soutient la professeure. Renoncer à comprendre, c'est se donner le droit de juger à l'aveuglette.»

Mais comment réparer un génocide? La compensation financière serait dérisoire, reconnait Mme Dumont. Cependant, le fait que des tribunaux ordonnent la mise en place de services d'aide juridique et psychologique, de programmes de rééducation physique ou encore de programmes d'aide financière à la réinstallation aurait une grande valeur morale et symbolique favorisant la réparation, estime-t-elle.
Et c'est à la communauté internationale que revient la responsabilité de telles mesures puisque, dans les deux cas portés devant les TPI, cette communauté est demeurée témoin silencieux des drames auxquels elle assistait.

Malgré ces limitations et ces difficultés, les TPI demeurent, aux yeux d'Hélène Dumont, une solution de remplacement valable à la vengeance. «Ils permettent de mettre fin sans violence à des millénaires d'impunité et de sublimer les conflits par la parole et le débat. En cela, ils sont des actes de civilisation. Mais il faut éviter d'y placer des attentes qu'ils ne peuvent pas satisfaire, comme la réconciliation et la lutte contre la pauvreté, qui est une des causes des conflits.»

Peine de mort: violence totale

Les TPI écartent d'emblée le recours à la peine de mort contre les génocidaires et auteurs de crimes contre l'humanité, une position que partage entièrement Hélène Dumont.

«Avec la guerre, la peine de mort est une violence totale et constitue le seul espace où il est légalement permis de tuer. Pour mettre fin à une culture de violence, il faut réduire cet espace et convaincre ceux qui ont le pouvoir de l'appliquer que la peine de mort n'est ni ³rentable² ni avantageuse. Les responsables de l'application des sanctions ont alors l'occasion de dire au coupable: je ne me servirai pas de ton arme.»

La présentation d'Hélène Dumont aura lieu le jeudi 7 octobre à 13 h 30 au cours de la table ronde sur les politiques pénales et la justice réparatrice. Le congrès est organisé par la coalition Tous ensemble contre la peine de mort avec la collaboration de divers partenaires gouvernementaux, d'ONG, d'associations professionnelles et de syndicats.

Daniel Baril



 
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