Édition du 18 octobre 2004 / volume 39, numéro 7
 
  Les libéraux provoquent un clivage social
«On ne casse pas le Québec social comme on casse du sucre.»

Gérard Boismenu, Pascale Dufour et Denis Saint-Martin, Ambitions libérales et écueils politiques: réalisations et promesses du gouvernement Charest, Montréal, Éditions Athéna, 2004.

Difficile de croire que la gauche reprend du service quand l'ADQ fait élire un quatrième député, que les centrales syndicales n'arrivent pas à s'entendre sur une journée de «grève sociale» et que 50 000 personnes descendent dans la rue pour défendre Jeff Filion!

Mais ces évènements sont autant d'indices montrant que le débat politique est en train de se polariser et que les rapports de force se réorganisent actuellement au Québec. «Les milieux communautaires se mobilisent plus et sont plus politisés que dans les années 80. Le débat politique, qui se situait sur l'axe nationalisme-fédéralisme, se situe maintenant davantage sur l'axe gauche-droite», affirme Pascale Dufour, professeure au Département de science politique.

Paradoxalement, c'est le gouvernement libéral de Jean Charest qui a été le principal catalyseur de cette renaissance du militantisme. Dans une analyse du contexte politique actuel parue le mois dernier aux Éditions Athéna ­ Ambitions libérales et écueils politiques ­, la professeure Dufour et deux de ses collègues du Département, Gérard Boismenu et Denis Saint-Martin, soutiennent que la marginalisation des acteurs collectifs de la société civile par le gouvernement libéral a créé une rupture dans les rapports traditionnels établis entre l'État québécois et la population.

Des «groupes qui font du bruit»

Dans une lettre publiée à l'automne 2003, le premier ministre Charest avait même qualifié les groupes populaires et les syndicats de «groupes d'intérêts corporatistes qui font du bruit». Dès la prise du pouvoir, le Parti libéral a cherché à écarter ces partenaires collectifs au nom d'une vision de la société considérée comme un ensemble d'individus.

Ajoutée à l'amateurisme dont le gouvernement a fait preuve dans plusieurs dossiers (défusions municipales, crise autochtone, centrale du Suroît, etc.) et au manque de vision politique dans les opérations de reconfiguration et de sous-traitance, l'approche gouvernementale a amené les groupes populaires et syndicaux à vouloir se faire entendre autrement. Les centrales syndicales, les groupes de femmes, les groupes de défense de chômeurs et d'assistés sociaux, le réseau Vigilance, la coalition J'ai pas voté pour ça ont tenu une série de manifestations dont l'ampleur a dépassé tout ce qu'on avait vu depuis des années.

Pour Pascale Dufour, c'est plus la manière de faire du gouvernement Charest qui a suscité la grogne populaire que son programme politique. «Il y a incontestablement un courant de conservatisme social au Québec et Lucien Bouchard était parvenu à créer un consensus autour du "déficit zéro" et de la diminution de la taille de l'État. Mais le gouvernement Charest a braqué le milieu contre lui. S'il avait été plus à l'écoute de la société civile, la réaction aurait pu être moins forte.»

De la place pour un parti de gauche

Au même moment, les groupes de gauche tentent de se sortir du cul-de-sac de la souveraineté pour recentrer leur action sur la solidarité sociale. «Leur priorité est devenue le Québec solidaire et la lutte contre les inégalités, observe la professeure.

L'ennemi n'est plus "l'anglais" mais le capitalisme mondial. La question du statut politique du Québec est maintenant subordonnée aux enjeux sociaux et à l'équité.»

La naissance du mouvement Option citoyenne est une illustration de ce changement. La montée de l'Union des forces progressistes, qui a obtenu entre cinq et neuf pour cent des voix aux dernières élections complémentaires, montre par ailleurs que le courant ne peut plus être considéré comme marginal. La présence de l'ADQ, dont le programme se situe clairement à droite et dont le succès électoral confirme la présence d'un courant conservateur, a sans doute aussi fouetté l'ardeur des gauchistes.

«La dynamique politique n'est plus la même et un clivage se dessine entre une vision plus progressiste et une vision plus conservatrice. Il y a maintenant une place pour un parti de gauche», estime Mme Dufour.
Pour avoir fait fi des règles traditionnelles de la concertation au Québec et avoir fait preuve d'une méconnaissance des forces à l'oeuvre sur le terrain, le gouvernement libéral a donc ravivé les cendres chaudes de la mobilisation populaire. «On ne casse pas le Québec social comme on casse du sucre», écrivent les trois auteurs.

L'appauvrissement du discours identitaire et la pauvreté d'un projet politique qui se limite à la réduction de la taille de l'État alimentent pour leur part, au sein des forces vives du Québec, des visions plus mobilisatrices. Le télescopage de la «société civile organisée» et de l'appareil étatique auquel nous assistons présentement ne pouvait pas ne pas être prévisible, concluent les auteurs.

Daniel Baril



 
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