Édition du 18 octobre 2004 / volume 39, numéro 7
 
  Les vraies questions en santé restent taboues
Comment répartir les ressources en santé dans un contexte de contraintes budgétaires?

Jeunes et moins jeunes, riches et pauvres, tous ont droit à la santé.

L'État doit-il payer pour les nouvelles technologies de reproduction? Faut-il réanimer les très grands prématurés? Le médecin doit-il envoyer un patient âgé de 75 ans en dialyse rénale? L'allongement de l'espérance de vie jusqu'à des âges avancés et le développement des technologies médicales placent les médecins, les administrateurs des organismes de santé et les décideurs politiques devant des enjeux de plus en plus complexes. Pour discuter de ces enjeux, un colloque intitulé «Allocation des ressources en santé: enjeux, perspectives et choix éthiques et bioéthiques» a réuni des experts de plusieurs disciplines à l'occasion des 17es Entretiens du Centre Jacques Cartier le 8 octobre à Montréal.

Michèle S. Jean, conseillère en développement de programmes à l'Université de Montréal et présidente du Comité international de bioéthique de l'UNESCO, a présenté la première partie du colloque, consacrée à une «nouvelle approche du début et de la fin de la vie», à laquelle participaient Daniel Weinstock, directeur du Centre de recherche en éthique de l'UdeM, Jacques Légaré, professeur émérite du Département de démographie, et Catherine Perrotin, directrice du Centre international de bioéthique de l'Université catholique de Lyon. 

«Le souci économique engendré par la hausse des coûts du système doit être saisi comme une occasion de relance de la réflexion éthique», a dit Catherine Perrotin en introduction à sa présentation. Plusieurs pratiques de la médecine doivent être interrogées. Ainsi, chez les grands prématurés, «la réduction de la mortalité grâce à la réanimation a été obtenue dans un contexte d'abondance, sans égard aux coûts financiers et humains de telles interventions», a mentionné la chercheuse. Quant aux nouvelles technologies de reproduction, elles répondent en grande partie à un «problème d'infertilité artificielle» entraîné par le recours à la contraception jusqu'à un âge où la fertilité diminue naturellement.

Dans les sociétés occidentales, le désir d'une meilleure santé a fait place au besoin, puis au droit à la santé, y compris aux soins les plus sophistiqués, a souligné Catherine Perrotin. «Dans une perspective d'équité, tous doivent avoir accès à l'ensemble des soins. Mais dans un contexte de pénurie des ressources, certains États, comme l'État de l'Oregon, ont décidé de limiter ou d'interrompre les transplantations d'organes, jugées trop coûteuses, en faveur d'une couverture plus large des besoins de première nécessité de la population.»

Vers un système à deux vitesses?

Dans un tel contexte, plusieurs craignent que seuls les plus riches puissent accéder aux soins à la fine pointe de la technologie alors que l'ensemble de la population devra se contenter d'une médecine de base. Comment éviter une telle polarisation dans la prestation des soins de santé?

Le philosophe Daniel Weinstock croit qu'il faut d'abord dissiper la confusion qui règne dans le débat sur l'instauration d'un système de santé à deux vitesses. «La première question consiste à savoir ce qu'il en sera réellement, a-t-il fait remarquer. Un système ayant recours au secteur privé créera-t-il plus de ressources ou amènera-t-il seulement un déplacement des ressources? Ensuite, il y a la question normative: une société démocratique doit-elle donner un accès égal à tous les services?» Selon lui, il faut établir des mécanismes délibératifs permettant de discuter de ces enjeux à tous les niveaux de la société pour éviter que les questions bioéthiques demeurent l'apanage des experts et des lobbys.

Une caisse de santé

De son côté, Jacques Légaré a parlé de travaux montrant que ce sont les besoins en services sociaux qui augmentent le plus avec la chute de la mortalité et le vieillissement de la population. Il faut donc, selon lui, renverser la tendance actuelle qui privilégie l'allocation des ressources aux services de santé au détriment des services sociaux. Le démographe a par ailleurs défendu son idée d'instaurer une caisse de santé afin de pourvoir aux besoins de la génération vieillissante des baby-boomers.

Marie-Claude Bourdon



 
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