Édition du 18 octobre 2004 / volume 39, numéro 7
 
  Hippocrate, Esculape et le patient qui souffre
Le Dr Patrick Vinay plaide pour une médecine axée sur le patient

Le médecin doit développer une compassion basée sur sa propre vulnérabilité, croit Patrick Vinay.

Depuis Hippocrate et Esculape, deux traditions complémentaires ont inspiré la médecine. L'une, celle d'Hippocrate, ce médecin grec du cinquième siècle avant Jésus-Christ connu pour son approche scientifique, est centrée sur la maladie. Elle essaie de faire un tout intelligible d'un désordre aux multiples facettes et met en oeuvre une intervention planifiée en conséquence. L'autre, celle d'Esculape, demi-dieu dont les premiers disciples sont des prêtres «thérapeutes», s'adresse à la personne plus qu'à la maladie. Basé sur des évidences subjectives, le savoir-faire qui en découle est enraciné dans l'humanité de chaque médecin. «Ces deux approches sont complémentaires, mais en privilégions-nous une au détriment de l'autre? Je crois qu'il faut se poser la question», a dit le Dr Patrick Vinay en introduction à la conférence qu'il a prononcée le 1er octobre à l'occasion des Journées de la douleur de Montréal.

«Mon discours n'est pas original, reconnaît le Dr Vinay en entrevue. Tout simplement, je dis qu'on ne guérit pas seulement avec la technologie. Quand l'homme est malade, ce n'est pas seulement la biochimie qui est atteinte. Et il est souvent illusoire de penser qu'on peut prendre une personne et la ramener en arrière, dans l'état où elle était avant sa maladie. Même si on la ³guérit², on ne pourra pas lui faire retrouver sa condition antérieure. Un nouvel ordre des choses où la blessure est intégrée doit être accepté. Cette approche concerne davantage la souffrance que la douleur.»

Si la médecine hippocratique est extrêmement importante, si ses victoires et ses succès sont formidables, elle est notoirement insuffisante pour amener la guérison, soutient le Dr Vinay. «Il ne peut y avoir de guérison sans que le malade fasse son propre bout de chemin. Et ce bout de chemin, le médecin qui est là peut le faciliter ou le bloquer. Si le médecin n'est pas capable d'ouvrir une porte sur un espace où il n'y a rien à faire, où il n'y a qu'à "être avec" et "souffrir avec", je crois que la guérison va échapper à son malade. Créer cet espace avec quelqu'un qui est revendicateur, qui est difficile et qui n'écoute pas ­ parfois parce qu'on ne l'a pas écouté avant ­, ce n'est pas simple. Mais c'est toujours possible.»

Le Dr Patrick Vinay  

La fragilité de la vie

L'approche d'Esculape, centrée sur la relation avec le patient, peut assurer bien des victoires qui éviteront des consultations inutiles auprès de spécialistes surchargés, avec tous les coûts que cela suppose pour le système de santé. Cette approche, qui intègre la fragilité de la vie humaine, vaut même après l'abandon de l'approche hippocratique. «L'expérience de la guérison est possible même dans la maladie en phase terminale, affirme le Dr Vinay, qui se consacre depuis quelques années aux soins palliatifs. J'ai personnellement tenu la main de patients mourants qui étaient guéris.»

Selon le Dr Vinay, on ne peut pas enseigner la médecine sans parler de guérison et l'on ne peut pas parler de guérison sans se tourner vers une approche beaucoup plus englobante que celle qui a cours en ce moment dans les facultés de médecine. Pour développer cette approche, il faut parler aux étudiants de l'importance de la capacité d'écoute et de la compassion. «Un professeur qui enseignait en première année demandait aux étudiants de sa classe qui aimaient entendre les histoires de coeur de leurs amis de lever la main. Après qu'un petit groupe eut répondu à l'appel, il disait: «Tous les autres, sortez! Votre place n'est pas en médecine», raconte en riant l'ex-doyen de la Faculté.

«C'est un peu caricatural, mais il y a du vrai dans cette façon de présenter les choses, poursuit-il. Une partie de notre travail n'est pas qu'une victoire intellectuelle et technique sur une biologie qui fonctionne de travers. Et comme la biologie finit toujours par aller de travers parce que tout le monde meurt, si l'on ne développe pas une compassion basée sur sa propre vulnérabilité, on n'occupe que la moitié du champ de la médecine.»

Marie-Claude Bourdon



 
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