Édition du 1er novembre 2004 / volume 39, numéro 9
 
  Environ 15 % des jeunes risquent de trop aimer les jeux de hasard
Même si la pauvreté constitue un facteur de risque, les enfants de parents qui jouent ont davantage de risques de développer un comportement pathologique

Les parents ne s'inquiètent pas assez des comportements de leurs enfants à l'égard du jeu.

Seuls les jeunes qui sont précoces par rapport au jeu et dans leur consommation d'alcool ou de marijuana sont à risque d'avoir des problèmes de jeu à l'âge adulte. Environ 15 % des jeunes possèdent ce profil, affirme Frank Vitaro. Or, note le professeur de l'École de psychoéducation, les programmes de prévention destinés aux jeunes des écoles secondaires sont des programmes de type universel. Composés d'ateliers d'information et de sensibilisation, ils s'adressent à l'ensemble des adolescents même si, dans les faits, de 80 à 85 % d'entre eux ne courent aucun risque d'adopter une attitude problématique par rapport aux jeux de hasard.

Les données soumises par Frank Vitaro proviennent d'une étude qu'il a menée en collaboration avec Brigitte Wanner et Richard Tremblay, de l'UdeM, et Robert Ladouceur, de l'Université Laval. Intitulée «Jeux de hasard et d'argent et consommation de substances psychotropes: profils d'adolescents», cette étude s'appuie sur les données recueillies dans les années 90 auprès de l'une des deux cohortes de jeunes suivies par l'équipe de Richard Tremblay depuis 1984 dans des milieux francophones défavorisés de Montréal. Elle a permis d'établir différents profils d'adolescents selon l'âge auquel ils s'initient au jeu ou à la consommation d'alcool ou de marijuana ainsi que les trajectoires de ces jeunes au regard de leurs habitudes de jeu ou de consommation tout au long de l'adolescence.

Précoces et tardifs

Frank Vitaro

Trois catégories de jeunes apparaissent. La première a un profil de consommation ou de jeu qui reste bas pendant toute l'adolescence. La deuxième catégorie voit sa consommation ou ses habitudes de jeu augmenter au fil du temps: il s'agit du profil «tardif croissant». Finalement, la troisième catégorie est constituée de jeunes «précoces». «Pour chaque substance, incluant le jeu, il y a un petit groupe de jeunes qui cheminent sur une trajectoire de consommation élevée déjà amorcée à 11 ans, indique Frank Vitaro. Ils commencent tôt à consommer et ils vont consommer de façon soutenue tout au long de leur adolescence.»

À la fin de l'adolescence, toutefois, la consommation de ces jeunes «précoces» se confond avec celle du deuxième groupe, les «tardifs croissants». «À 15 ou 16 ans, on ne distingue plus les "précoces" des "tardifs", dit Frank Vitaro. Ce qui les différencie, c'est l'âge d'initiation, qui est évidemment plus bas pour les premiers que pour les deuxièmes. Donc, dans la mesure où l'on sait que l'âge d'initiation est un facteur de risque important ­ ce que notre étude n'est pas la seule à démontrer ­, cela veut dire qu'il faut s'informer non seulement du niveau de consommation des jeunes, mais aussi de l'âge où ils ont commencé à consommer ou à jouer.»

On observe une certaine convergence entre les trois comportements: les jeunes engagés sur un type de trajectoire par rapport à une substance suivent des chemins similaires par rapport aux autres. Mais la corrélation n'est pas parfaite. D'ailleurs, ceux qui présentent un profil précoce sur la trajectoire du jeu, même si leur profil de consommation reste bas tout au cours de l'adolescence pour ce qui est de l'alcool ou de la marijuana, courent davantage de risques de souffrir de problèmes d'alcool ou de drogue à l'âge adulte. Par contre, c'est le fait de présenter un profil précoce à la fois sur la trajectoire du jeu et sur celle d'une autre substance, qu'il s'agisse de l'alcool ou de la marijuana, qui augmente le risque d'avoir un problème de jeu à l'âge adulte.

Une perspective développementale

Pour Frank Vitaro, ces données montrent la nécessité d'adopter une perspective développementale pour évaluer les risques associés au comportement des jeunes. «Déjà, à la fin de l'enfance et au début de l'adolescence, on peut repérer les jeunes à risque, déclare-t-il. Notre étude a démontré que les jeunes de 11, 12 et 13 ans qui présentent des scores élevés d'impulsivité et de recherche de sensations tel que nous l'ont révélé les jeunes eux-mêmes ou leurs professeurs par l'entremise de questionnaires sont davantage susceptibles d'adopter des profils à risque.»

En plus de ces indicateurs personnels, la supervision des parents, les attitudes et pratiques de ceux-ci vis-à-vis de l'alcool, de la drogue ou du jeu entrent aussi en ligne de compte. Or, d'autres études ont établi que les parents ne s'inquiètent pas tellement des comportements de leurs enfants à l'égard du jeu. «Cela va peut-être changer avec toute la publicité qui est faite et l'information qui circule sur la question du jeu», remarque Frank Vitaro, qui ajoute toutefois que les habitudes de jeu des parents et des jeunes sont liées au-delà des autres caractéristiques personnelles et sociofamiliales. «Autrement dit, même si la pauvreté, par exemple, constitue un facteur de risque, les enfants de parents qui jouent courent davantage de risques de développer un comportement pathologique quant au jeu que d'autres enfants du même milieu socioéconomique dont les parents ne jouent pas. Le jeu se transmet de façon familiale, comme bien d'autres comportements.»

Si l'on repérait les jeunes à risque, on pourrait envisager des efforts de prévention ciblée, souligne Frank Vitaro. «Je suis partisan de combiner des programmes de type universel et des programmes de type ciblé. Si l'on pouvait dépister les jeunes susceptibles d'avoir des problèmes de jeu et agir le plus tôt possible sur les précurseurs de leurs comportements à risque, je crois qu'on travaillerait de façon plus efficace.»

Marie-Claude Bourdon



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement