Édition du 1er novembre 2004 / volume 39, numéro 9
 
  Séparations: les pères sont les grands perdants
L'instabilité des unions entraîne des défis considérables pour les mères mais également pour les pères, qui cherchent comment jouer leur rôle

Après la séparation des parents, certains enfants ne revoient plus leur père. Cette absence pèse gros sur le coeur des enfants mais aussi de l'homme.

Au Québec, un enfant sur quatre subit la séparation de ses parents avant d'atteindre l'âge de six ans. Parmi ces milliers d'enfants, 16 % ne voient jamais leur père. Une absence qui attriste garçons et filles, mais aussi les pères. «Du point de vue des relations avec les enfants, les pères sont les grands perdants de la séparation des couples», affirme la démographe Nicole Marcil-Gratton.

En équipe avec Évelyne Lapierre-Adamcyk, professeure au Département de démographie, la chercheuse vient de recevoir une subvention de 122 000 $ sur trois ans afin d'étudier la question des mères, pères et familles à l'aube du 21e siècle. «Il s'agit de la continuité des travaux que nous menons depuis 30 ans sur la démographie de la famille», explique Mme Lapierre-Adamcyk. La famille évolue constamment, d'où l'intérêt de l'étudier sur de très longues périodes. Un exemple: la fameuse union civile qui permet depuis 2002 le mariage de conjoints de même sexe. Cette nouvelle forme d'union sera une réalité dont les démographes devront tenir compte.

À partir de banques de données mises à jour périodiquement et comptant jusqu'à 25 000 enfants canadiens, les démographes peuvent observer l'évolution des modèles familiaux et les comparer d'une époque à l'autre et d'une province à l'autre. «Ces enquêtes visent plusieurs objectifs: examiner les facteurs associés au fait de devenir parents de nos jours, répertorier les rôles des parents dans le contexte de la multiplicité des formes familiales résultant de l'instabilité des unions et enfin étudier comment les parents assument le bien-être économique de leurs enfants.»

Pères perdus

Parmi les éléments qui ont subi des changements majeurs au sein de la famille québécoise postmoderne: le rôle du père. Il est bien loin le père pourvoyeur incarné dans la série télévisée Papa a raison. Comment être engagé aujourd'hui sans cesser d'être également un conjoint idéal et un travailleur dévoué qui réussit à échapper à la toxicomanie, au burnout, à la «boulotmanie»?

Les démographes semblent éprouver une certaine sympathie pour les pères perdus qu'on trouve aujourd'hui, comme le font remarquer les chercheuses dans La démographie québécoise: enjeux du XXIe siècle, parue l'an dernier aux PUM. Du point de vue familial, ce sont les hommes qui «ont à faire face sinon aux défis les plus spectaculaires, peut-être aux défis les plus exigeants», écrivent Mme Marcil-Gratton, Céline Le Bourdais et Heather Juby. En dépit des difficultés pour les femmes de concilier la vie professionnelle avec la vie familiale, l'époque actuelle ne remet pas en question la maternité, «alors que les hommes cherchent comment exercer leur fonction de père». Ceux-ci, estiment les auteures, «ont à réapprendre l'art d'être père dans un contexte où les points de repère sont devenus flous et mouvants».

En 1961, la première cause de monoparentalité était... la mortalité des hommes. En d'autres termes, quand une mère élevait seule ses enfants, c'était parce qu'elle était veuve dans 71 % des cas. En 1996, cette proportion n'était plus que de 9 %.

Si les pères participent peu à l'éducation de leurs enfants après la séparation du couple, il n'appartient pas aux démographes de chercher à connaître les raisons psychologiques de ce décrochage ni à en mesurer les effets sur les enfants. «Notre rôle consiste à présenter des données précises sur l'évolution de la famille, les séparations, les unions libres, les mariages, précise la chercheuse. Je peux vous donner mon opinion sur ces questions, mais elle ne vaudra guère plus que la vôtre», confie Mme Lapierre-Adamcyk. Cela n'empêche pas la démographie d'être ouverte à une multitude de disciplines en sciences humaines.

Dénatalité et contraception

Les démographes contribuent d'ailleurs à attirer l'attention de la population et des gouvernements sur des questions touchant la collectivité. Jacques Henripin, ancien professeur de Mme Lapierre-Adamcyk, a été l'un des premiers experts à sonner l'alarme au sujet de la dénatalité au Québec. Quant à Nicole Marcil-Gratton, son travail a eu un certain impact lorsqu'elle a étudié la contraception au Québec. Alors que les Français procèdent exceptionnellement à la stérilisation permanente (ligature des trompes, vasectomie), qu'ils considèrent presque comme une mutilation corporelle, les Québécois ont eu recours massivement à cette approche dès les années 60. Chez les plus de 40 ans, de 60 à 70 % des femmes en couple avaient subi la «grande opération». L'un des plus hauts taux du monde.

Actuellement, le point principal à retenir des trajectoires familiales québécoises, c'est que le modèle unique appartient bien au passé. Ils sont nombreux les bébés qui naissent dans une famille reconstituée où ils feront la connaissance de demi-frères, demi-soeurs, beau-père, belle-mère, parents adoptifs, etc. «L'enfance n'est plus un long fleuve tranquille», résume Mme Marcil-Gratton.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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