Édition du 1er novembre 2004 / volume 39, numéro 9
 
  capsule science
Pourquoi y a-t-il sept notes dans la gamme?

Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do
. Pourquoi y a-t-il dans la gamme sept notes auxquelles on ajoute, en la répétant, la première (do) à l'octave? «Cette question est à la base du matériau musical occidental depuis 25 siècles, répond Dujka Smoje, professeure honoraire de la Faculté de musique. Les sept notes de la gamme résultent d'un choix arbitraire qui, au départ, n'a rien à voir avec la musique. Il faut remonter à Pythagore pour en retrouver l'origine.

La musicologue rappelle que, pour les Grecs anciens, la musique était une science au même titre que l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie. Pythagore (580 av. J.-C. ­ 490 av. J.-C.) et ses disciples croyaient que le nombre régissait l'Univers. En plus de son célèbre théorème ­ le carré de l'hypoténuse d'un triangle est la somme des carrés des deux autres côtés ­, le mathématicien et philosophe léguera le fruit de sa réflexion sur les nombres pairs et impairs, les nombres premiers et carrés. D'après ses disciples, Pythagore a élaboré une vision du cosmos qui se reflète sur Terre. S'il y a sept jours dans la semaine, c'est qu'il y a sept planètes dans le système solaire (on en a découvert deux autres depuis). Il y aura donc sept notes dans la gamme.

Selon Pythagore, le mouvement des planètes produit des sons à partir des nombres harmoniques inaudibles pour l'être humain. Les mêmes harmonies se retrouvent dans la division d'une corde vibrante; l'ouïe en perçoit des intervalles parfaits: octave, quinte et quarte. «En combinant ces intervalles à partir de l'octave, explique Mme Smoje, les sept planètes trouvent leur écho sonore dans la gamme de sept sons, le huitième étant la répétition du premier dans un registre plus haut. Ainsi l'ordre cosmique est transposé dans la réalité humaine, rendant accessible cette vérité à la perception sensorielle.»

Il faudra attendre 17 siècles avant de nommer ces notes comme on les connaît aujourd'hui: de do à si. «Selon la tradition médiévale, ce baptême est dû à Guy d'Arezzo, un théoricien du 11e siècle, qui a trouvé cette astuce pour faciliter la mémorisation des mélodies», précise Mme Smoje.

Si le clavier du piano compte sept touches blanches et cinq noires, c'est qu'on a en réalité dans la gamme cinq tons entiers et deux demi-tons. Lorsqu'on divise les tons en demi-tons correspondant aux touches noires, cela donne 12 notes. «Mais ces séparations n'existent pas sur les instruments à cordes. Ce qui démontre encore une fois que notre gamme est au départ une convention transmise depuis la nuit des temps. Nous gardons l'héritage pythagoricien voulant que tout soit fondé sur le nombre: les planètes, le calendrier, la musique...»

Aurions-nous pu hériter d'une autre gamme? Bien sûr: la gamme pentatonique compte cinq notes; les Arabes ont une gamme de 17 notes et celle des Hindous en comporte 24. Or, si la musique orientale sonne étrangement à nos oreilles, c'est qu'on n'en a pas appris le langage. «On peut faire l'analogie avec la langue maternelle, illustre la spécialiste. Si l'on ne saisit pas la musique des autres cultures, c'est qu'on n'en a pas intégré ses bases dans notre tendre enfance. C'est là un des problèmes de la musique contemporaine, d'ailleurs, qui s'applique à défier les habitudes musicales.»

Il y a beaucoup plus de similitudes entre les chansons de Céline Dion et la musique de Mozart qu'entre celle-ci et le répertoire du Nouvel Ensemble moderne. Céline et Wolfgang doivent leur célébrité aux mélodies tonales qui respectent parfaitement les conventions de la gamme. Alors que les compositeurs de musique contemporaine, même lorsqu'ils affectionnent les bons vieux instruments de l'orchestre (cordes, cuivres, vents, percussions), s'appliquent à déconstruire la convention tonale.

Après avoir enseigné la musicologie pendant 35 ans, Dujka Smoje continue de s'étonner de la richesse de cette gamme vieille de 2,5 millénaires. En avons-nous exploré toutes les possibilités? «Je ne le crois pas; il y a encore beaucoup de potentiel dans la gamme à 7 notes et à 12 sons. L'imagination des créateurs est sans limites et la musique a besoin de parcourir de nouveaux territoires. Par jeu, par défi ou encore pour vérifier si les Anciens avaient raison... Car les règles du jeu de Pythagore séduisent toujours les artistes contemporains. Des compositeurs comme Karlheinz Stockhausen, György Ligeti et Yannis Xenakis sont tout à fait pythagoriciens.»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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