Édition du 8 novembre 2004 / volume 39, numéro 10
 
  Pascal Picq ne craint pas les démons du darwinisme
Pour plusieurs, défendre les grands singes équivaut à nier la grandeur de l'homme, déplore le paléontologue

Pascal Picq resituera l'homme moderne dans le contexte naturel où la sélection a joué et où elle continue d'opérer.

L'une des particularités actuelles de l'être humain est qu'il est le seul représentant de son espèce. Cette situation, relativement récente dans notre histoire, en a porté plus d'un à croire que l'homme était le sommet, voire la finalité, de l'évolution.

«Cette conception finaliste et lamarckienne de l'évolution persiste hélas encore fortement en paléoanthropologie, déplore Pascal Picq. L'être humain moderne n'est pas la finalité d'un processus, mais le dernier survivant d'une grande lignée évolutive aux multiples ramifications et qui doit son succès à son adaptation.»

Maitre de conférences en paléoanthropologie au Collège de France et l'un des rares chercheurs à s'avouer darwinien dans une France encore lamarckienne (le Québec ne fait pas ici exception...), Pascal Picq sera de passage à l'Université le mardi 9 novembre, où il prononcera une des grandes conférences des Belles Soirées (voir le Calendrier). Le chercheur, qui étudie le comportement des chimpanzés et des bonobos en plus de travailler sur des fossiles d'hominidés, replacera l'histoire d'Homo sapiens dans le contexte de la sélection naturelle, c'est-à-dire en lien avec la nature dont il fait inévitablement partie.

Des caractéristiques partagées

Si Homo sapiens est aujourd'hui le seul de son espèce, il a tout de même de proches parents avec qui il partage un ancêtre commun.

«Si nous avons un ancêtre commun avec les grands singes, cela veut dire que nous partageons des traits communs avec eux. En paléoanthropologie, on avait l'habitude d'attribuer les caractéristiques les plus archaïques à des représentants de la lignée des grands singes et les caractéristiques plus modernes à des représentants du genre Homo. On ne peut plus dissocier les traits de cette façon et il nous faut une nouvelle classification», affirme Pascal Picq.

Selon le professeur, tout ce qu'on a longtemps cru comme étant le propre de l'homme est observable chez les grands singes, notamment les chimpanzés, les bonobos et les gorilles. Ni la bipédie, ni l'utilisation d'outils, ni la guerre, ni l'altruisme, ni le langage, ni l'organisation sociale, ni la culture, ni le rire, ni même la morale ne sont le propre de l'espèce humaine. «Il y a bien sûr des différences entre l'être humain et les grands singes, mais elles sont moins triomphales qu'on le croyait», souligne-t-il.

L'éthologie des primates non humains peut donc nous en apprendre sur notre propre nature et sur l'origine de nos habiletés comportementales; la culture ne nous situe pas en dehors de l'animalité. Sur la question de la morale, par exemple, Pascal Picq rapporte plusieurs observations révélant des attitudes d'empathie, de solidarité, de répression, de contrition et de réconciliation tant chez les macaques et les babouins que chez les chimpanzés.

«Il existe des notions de bien et de mal chez les autres primates. Il n'y a pas de morale naturelle, mais des fondements naturels de la morale qui se retrouvent chez les animaux les plus proches de nous. Ces fondements ne sont pas apparus parce que la vie exigeait de la morale; ils ont émergé dans différentes lignées en association avec d'autres caractéristiques cognitives sélectionnées par l'environnement.»

Pascal Picq se dissocie par ailleurs de façon très nette du scénario d'hominisation tel que présenté par Yves Coppens et popularisé dans la série télévisée L'odyssée de l'espèce. Voyant en M. Coppens un lamarckien, il rejette le schéma classique voulant que notre ancêtre soit un hybride de l'homme et du singe qui s'est mis debout dans la savane et qui a acquis la bipédie à force de la pratiquer. Plus prêt de la vision de Stephen Jay Gould, il défend l'idée d'une évolution par sauts rapides.

Les dernières découvertes en paléoanthropologie infirment d'ailleurs le scénario de la East Side Story, d'Yves Coppens, déjà présenté dans Forum (voir «Lucy in the Earth» sur iForum,  22 septembre 1997). Un hominidé vieux de six à sept millions d'années, baptisé Toumaï, trouvé en 2001 au Tchad, est maintenant considéré comme le plus ancien ancêtre des australopithèques et montre que les hominidés ne sont pas apparus à l'est du rift africain.

Les démons du darwinisme

Si les grands singes sont si proches de nous, l'homme devrait prendre les moyens nécessaires pour les protéger de l'extinction qui les menace et, si nécessaire, leur accorder des droits. «Il faut les sauver pour comprendre ce que nous sommes et devenir enfin des Homo sapiens

Pascal Picq regrette que la primatologie ou l'éthologie des grands singes soit une discipline pour ainsi dire inconnue en France. «Il y a, chez les intellectuels, une méconnaissance des théories de l'évolution et s'afficher darwinien en anthropologie est risqué parce qu'on associe encore cette approche au darwinisme social de Spencer. Faire de la génétique du comportement est impossible en France. Pour plusieurs, défendre les grands singes équivaut à nier la grandeur de l'homme.»

Mais l'auteur de Au commencement était l'homme (Odile Jacob, 2003) n'en reconnait pas moins la grandeur des contributions de la culture française, qui a donné en autres le Siècle des lumières et la notion des droits de l'homme.

Daniel Baril



 
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