Édition du 15 novembre 2004 / volume 39, numéro 11
 
  L'Université participera à la formation de spécialistes africains en population
Lancement d'un ambitieux programme de formation financé par Bill Gates et échelonné sur 10 ans

Jacqueline E. Darroch, représentante de la Fondation Bill & Melinda Gates, exhibe la sculpture qu'un membre de la délégation de l'Université de Ouagadougou lui a remise le 29 octobre, au lancement du programme de formation de spécialistes africains. Elle est entourée du doyen de la Faculté des arts et des sciences, Joseph Hubert, et du recteur de l'Université de Ougadougou, Joseph paré.

Ibrahim est berger. Il épouse une bergère qui lui donne cinq enfants en quatre ans. Au sixième accouchement, elle meurt en couches. Ibrahim migre au nord du pays et se remarie. Il devient plus prospère et, comme la polygamie est permise au Burkina Faso, il prend une deuxième femme et ses deux épouses ont une grossesse tous les deux ans. Quelques-uns de ses enfants, victimes de sous-alimentation, décèdent, mais cela n'empêche pas Ibrahim de se marier avec une troisième femme.

Lorsque Ibrahim meurt, à 61 ans, il laisse derrière lui 25 enfants de quatre femmes. Sans compter les descendants morts à cause de la malnutrition...

En nous racontant l'histoire d'Ibrahim, un homme originaire du même village que lui, le Burkinabé François René Tall, vice-président de l'Université de Ouagadougou, illustrait en quelques phrases la difficulté de pénétrer la culture africaine avec des méthodes adaptées aux pays industrialisés. «Des organismes humanitaires avaient rencontré deux des femmes d'Ibrahim pour leur parler de contrôle des naissances, a-t-il expliqué. Elles avaient accepté de porter un stérilet pour mettre un terme à leurs grossesses à répétition. Mais quand leur mari l'a su, il est devenu fou de rage. Il a exigé qu'elles le fassent retirer. Elles ont obéi.»

À en croire M. Tall, des histoires comme celle d'Ibrahim ne sont pas exceptionnelles en Afrique subsaharienne. Des problèmes de pauvreté, de sous-alimentation, d'exploitation de la femme et de progression de maladies infectieuses (le sida surtout) ont fait de l'Afrique le continent le plus touché par la misère humaine. «Chaque jour, on nous annonce de nouvelles catastrophes là où des gens sont déjà confrontés à d'immenses défis humanitaires», commente Joseph Paré, recteur de l'Université de Ouagadougou, fondée il y a 30 ans.

En Afrique, chaque femme met au monde en moyenne six ou sept enfants, dont un nombre significatif est atteint, tôt dans la vie, de méningite, de turberculose ou de rougeole.

En Afrique, où l'on compte un dixième de la population mondiale, chaque femme met au monde en moyenne six ou sept enfants au cours de sa vie. Mais le taux de mortalité est très élevé, particulièrement à la naissance. «Méningite, tuberculose et rougeole tuent encore en Afrique, et les autorités sanitaires ne peuvent presque rien faire contre la propagation du sida», a dit M. Paré au lancement du programme «Renforcement des capacités en population et santé en Afrique subsaharienne», le 29 octobre.

Nouveau programme commun

Ce programme commun entre l'Université de Montréal et l'Université de Ouagadougou constituera peut-être «une mince lueur d'espoir pour les millions d'Africains aux prises avec des catastrophes humanitaires», a confié le recteur Robert Lacroix.

En cours depuis quelques mois déjà, ce programme de formation vise à renforcer les compétences en intervention et le leadership local, ainsi qu'à améliorer les politiques démographiques et sanitaires en Afrique francophone subsaharienne. D'une durée de 10 ans, il appuiera les efforts en santé reproductive grâce à la création d'une maîtrise en population et santé à l'Université de Ouagadougou, à l'appui à un centre régional de formation et de recherche et à la mise sur pied d'un réseau d'experts qui travailleront dans le domaine. La Fondation Bill & Melinda Gates finance cet ambitieux projet par une contribution de 11,7 M$ US (au moins 16 M$ CAN). «De façon générale, nous souhaitons améliorer les conditions de santé publique afin de diminuer la mortalité dans une des régions les plus éprouvées du globe, a résumé à Forum Victor Piché, professeur au Département de démographie et directeur du projet. Concrètement, nous voulons mettre en place des programmes de formation plus efficaces que ceux qui existent actuellement, souvent trop théoriques et mal adaptés aux besoins locaux.»

En créant une maîtrise professionnelle à l'intention des Africains déjà engagés dans le système de santé de plusieurs pays d'Afrique francophone, l'équipe canadienne et africaine pense pouvoir former 135 spécialistes d'ici la fin du projet. Ce sont des professionnels qui font déjà partie du personnel en santé publique: médecins, infirmiers, sages-femmes, etc. «Le financement du projet est prévu pour 10 ans, mais la présence de divers partenaires fait que nous pouvons envisager sa survie à long terme, mentionne M. Piché. Trop de projets de coopération internationale prennent fin quand les subventions sont épuisées. Nous désirons éviter cela.»

Joseph Paré, recteur de l'Université de Ouagadougou

Présent depuis 30 ans en Afrique subsaharienne, Victor Piché considère ce projet comme l'un des plus importants à avoir été menés par les professeurs du Département de démographie. Mais il insiste sur la codirection avec l'Unité de santé internationale et le Département de médecine sociale et préventive. L'idée initiale du projet revient d'ailleurs à ses collègues Thomas LeGrand, professeur au Département de démographie, et Baya Banza, professeur et chercheur à l'Unité d'enseignement et de recherche en démographie (UERD) de l'Université de Ouagadougou. Pierre Fournier, professeur au Département de médecine sociale et préventive, fait également partie de l'équipe de direction, ainsi que Lucien Albert, directeur de l'Unité de santé internationale. De plus, les professeurs Anne Calvès, du Département de sociologie de l'UdeM, et Richard Marcoux, du Département de sociologie de l'Université Laval, y sont étroitement associés. Les collaborateurs de l'UERD sont Dieudonné Ouédraogo, codirecteur du projet, Baya Banza et Blaise Sondo. À Montréal, la coordonnatrice Danièle Laliberté et Turenne Joseph, la commis comptable, complètent l'équipe.

Le nouveau programme d'études exigera la collaboration de spécialistes internationalement reconnus tant en Afrique que dans les pays du Nord. Éventuellement, des méthodes d'enseignement à distance seront intégrées au processus pédagogique pour mettre à contribution les meilleurs professeurs. On verra de plus en plus de vidéoconférences par exemple. Un programme de bourses permettra à 17 étudiants africains de faire un doctorat en santé publique et en démographie à l'Université de Montréal.

«À la Faculté de médecine, nous nous réjouissons de la mise en place de ce projet, qui nous intéresse à plusieurs titres», a indiqué Christine Colin, vice-doyenne à la Faculté. Épidémiologie, administration de la santé, santé environnementale sont des éléments dont il faut tenir compte.

Débat public

Le lancement officiel, auquel assistaient des dignitaires canadiens et burkinabés, était suivi d'une table ronde intitulée «Population et santé en Afrique subsaharienne: que fait-on? Que peut-on faire?»

«Nous sommes ici pour tracer le bilan des 10 années écoulées depuis la rencontre du Caire sur la santé en matière de reproduction et l'effort mondial déployé pour éliminer la pauvreté, a rappelé Fama Ba, directrice de la division Afrique du Fonds des Nations Unies pour la population et animatrice de la table ronde.

Il y a 10 ans, le 13 septembre 1994, la Conférence internationale sur la population et le développement adoptait un ambitieux plan d'action étendu sur 20 ans: le Consensus du Caire. Ce plan visait des objectifs précis en matière de mortalité infantile et maternelle, d'éducation, de santé de la reproduction, de planification familiale, etc.

Le projet de l'Université de Montréal et de l'Université de Ouagadougou, qui doit son existence et sa longévité à la Fondation Bill & Melinda Gates, s'inscrit dans cette volonté.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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