Édition du 22 novembre 2004 / volume 39, numéro 12
 
  Dans un Irak dévasté, Rajaa Habib Dhaher Khuzai prône l'optimisme
«Nous allons suivre nos cours et nous rentrons à la maison, car nous sommes tous troublés psychologiquement», raconte une étudiante irakienne

Mme Khuzai est entourée de Rose-Marie Lèbe (à gauche), membre du Comité permanent sur le statut de la femme de l'UdeM, et de Louise Roy, membre du Conseil de l'Université.

Y a-t-il de l'espoir pour l'Irak? Pour la Dre Rajaa Habib Dhaher Khuzai, la réponse ne fait pas de doute. Celle qui vit sous les bombes à Bagdad et qui représente une cible de choix pour les terroristes ne se laisse décourager ni par le chaos qui y règne ni par l'ampleur de la tâche à accomplir pour reconstruire le pays. «L'avenir est prometteur», déclarait-elle à son passage à l'Université de Montréal le 12 novembre.

Rajaa Habib Dhaher Khuzai est membre du Conseil national provisoire irakien, mis en place par l'administration américaine de Paul Bremer. À l'occasion d'une tournée nord-américaine, elle était reçue par le Comité permanent sur le statut de la femme de l'Université à l'initiative de Louise Roy, membre du Conseil de l'UdeM.

Opérer à la lueur des bougies

Après des études en obstétrique à l'Université de Londres, la Dre Khuzai a décidé de retourner travailler en Irak en 1977, deux ans avant que Saddam Hussein accède au pouvoir. L'Irak était jusque-là un pays quasi exemplaire dans le monde arabe. «L'Irak a été le berceau de la civilisation arabe, un foyer de culture et de science, rappelle-t-elle. Notre société était très différente des autres pays arabes. Nous avons eu une première femme ministre en 1958 et les premières femmes juges en 1966. Mais tout s'est dégradé sous Saddam.»

Après 10 ans de dictature, elle avait moins que le strict minimum pour faire fonctionner l'hôpital dont elle était directrice. «Nous n'avions ni équipements, ni médicaments, ni même de nourriture à donner aux malades. La participation à des conférences à l'étranger était interdite et il n'y avait plus de livres dans les bibliothèques pour étudier. La corruption était généralisée, on décapitait des femmes dans la rue.»

Terrorisée, elle n'osait rien dire. Même dans ces conditions de répression et de misère, avec un revenu de un dollar par mois, elle a choisi de rester parce que le peuple irakien avait besoin de professionnels de la santé. Pendant la guerre du Golfe, sans électricité ni essence, elle a réalisé plusieurs opérations à la lueur de bougies!

«Saddam devait partir et 99 % de la population était heureuse de son renversement», affirme Mme Khuzai qui, il y a un an, déclarait «savourer la libération». Elle parle des «forces de la coalition» pour désigner l'armée d'occupation et c'est presque du bout des lèvres qu'elle condamne les nombreuses erreurs qu'elles ont commises: «On a laissé trois millions de personnes sans nourriture, on a démantelé la police ­ ce qui a entrainé le pillage des musées et des bibliothèques ­, on a laissé les frontières avec les pays voisins grandes ouvertes. Il y a eu également une période de "vide" qui a permis aux terroristes et aux loyalistes de Saddam de se réorganiser. Les forces n'avaient pas de programme pour l'après-guerre et elles n'ont rien respecté de la culture irakienne.»

Des élections libres?

Malgré tout, elle prévenait George W. Bush l'année dernière contre un retrait trop rapide des forces armées qui aurait pour effet de plonger le pays dans l'anarchie. À ses yeux, la situation irait tout de même en s'améliorant et les conseillers américains installés à la tête de chaque ministère ont été retirés, même celui au ministère du pétrole, assure-t-elle. Et en dépit des attaques qui persistent, elle garde bon espoir que les élections de janvier 2005 se déroulent librement.

«C'est la première étape de la démocratie et nous devons connaitre ce qu'est un processus électoral. Ces élections sont la seule voie de salut pour le peuple irakien.» Ayant consulté l'ayatollah Sistani (de Najaf) sur le rôle des femmes en politique et reçu son accord avant d'accepter sa nomination au Conseil provisoire, la Dre Khuzai compte être candidate à ces élections.

Grâce à son travail et à celui de ses deux autres collègues féminines au sein du Conseil (l'une d'elles a été assassinée en septembre 2003), une clause a été inscrite dans la constitution provisoire assurant aux femmes 25 % des futurs postes de députés. «C'est un bon début et même en Amérique les femmes n'ont pas cette garantie», souligne-t-elle.

Beaucoup de travail reste toutefois à accomplir, à commencer par expliquer le sens du mot élection. «Lorsque des gens demandent ce que veut dire ce terme, certains répondent que ça signifie que le président ne restera pas plus de quatre ans au pouvoir...», relate-t-elle à titre d'anecdote.

Étudier à Bagdad

Dans sa tournée nord-américaine, la politicienne était accompagnée de sa fille Daliya, étudiante en pharmacie à Bagdad, qui a expliqué à quoi se résume la vie d'étudiant. «Nous allons suivre nos cours et nous rentrons tout de suite à la maison. Nous n'avons ni lieu ni temps pour nous rencontrer et discuter entre nous. Nous ne pouvons pas sortir à Bagdad et à 18 heures les rues sont vides parce que les terroristes frappent n'importe où.» De par la fonction de sa mère, Daliya dispose d'une voiture et d'un garde du corps pour se rendre à l'université.

Est-ce par suspicion que les étudiants ne communiquent pas entre eux? «Non, c'est parce que nous sommes tous troublés psychologiquement», répond-elle. Son rêve est de poursuivre des études aux cycles supérieurs à l'extérieur de son pays et de revenir travailler dans un Irak qui aura grand besoin de ses soins. Elle et sa mère comptent sur la collaboration des universitaires étrangers pour soutenir des projets d'éducation et de formation, notamment dans le domaine de la santé des femmes.

«Nous avons les ressources et les cerveaux. L'avenir est prometteur et il faut aller de l'avant», conclut Rajaa Habib Dhaher Khuzai.

Daniel Baril



 
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