Édition du 22 novembre 2004 / volume 39, numéro 12
 
  Edward Wilson lance un vibrant plaidoyer pour sauver la biodiversité
Le célèbre biologiste de Harvard reçoit un doctorat honorifique de l'Université

Le recteur et le biologiste

«Le 21e siècle ne sera pas le siècle de la démocratie ni celui de la colonisation de l'espace, mais le siècle de l'environnement». C'est du moins l'opinion d'Edward Wilson, biologiste à l'Université Harvard, père de la biodiversité et de la sociobiologie, considéré par plusieurs comme l'un des plus grands scientifiques de notre temps.

Le professeur Wilson était de passage à l'UdeM le 17 novembre pour recevoir, à l'invitation de la Faculté des études supérieures, un doctorat honorifique.

Délaissant l'un de ses thèmes de prédilection, à savoir les fondements biologiques de la culture et du comportement, Edward Wilson a fait porter sa conférence sur une autre de ses contributions scientifiques majeures: la biodiversité.

La sixième extinction massive

Au rythme où vont les choses, les biologistes estiment que 50 % des espèces animales et végétales actuelles auront disparu dans 100 ans. Nous sommes en fait au début de la sixième période d'extinction massive et la principale cause en est l'activité humaine. «Après chaque extinction, il a fallu de 10 à 15 millions d'années pour refaire la biodiversité», a indiqué le professeur Wilson.

Nous provoquons cette extinction alors que nous ne connaissons qu'une infime partie des espèces vivantes. Entre 1,5 et 1,8 million d'espèces animales et végétales et de micro-organismes sont connues, mais leur nombre pourrait être supérieur à 100 millions! Nous ne faisons que commencer à explorer la canopée, le sous-bois et les fonds marins. Et la forêt humide, qui abrite plus de la moitié des espèces connues, disparait à vue d'oeil.

Parallèlement à ces disparitions, le développement démographique et la consommation nous mènent à un goulot d'étranglement. À la fin du 21e siècle, la population humaine atteindra près de 10 milliards d'individus. C'est le maximum que la planète peut supporter, mais certainement pas si les pays industrialisés maintiennent leur niveau de consommation. «Chaque Américain a besoin d'une surface productive de 24 acres [9,6 hectares] pour sa consommation. Si toute la population de la Terre consommait autant, il nous faudrait quatre autres planètes pour répondre à nos besoins!»

25 points chauds à sauver

Le défi actuel est donc de réussir à hausser le niveau de vie des pays en développement sans épuiser la Terre et tout en sauvegardant la biodiversité. Edward Wilson estime non seulement que cela est possible, mais que ces deux luttes vont de pair. «La pauvreté et la diversité biologique sont concentrées dans les mêmes régions et les populations démunies n'ont aucune chance d'améliorer leur sort dans un environnement dévasté», fait-il valoir.

Il y aurait, selon le biologiste, 25 points chauds à préserver de façon prioritaire sur la planète. Ces 25 régions, qui représentent 1,4 % de la surface de la Terre, sont celles où l'extinction des espèces est la plus dramatique. Ces zones devraient être préservées du développement agricole et industriel trop invasif, ce qui permettrait de sauver 70 % des espèces menacées.

Le conférencier ne s'est pas étendu sur la faisabilité d'une telle entreprise, mais les moyens qu'il préconise se retrouvent dans son dernier volume, The Future of Live, dont la conférence constituait un résumé. Ces moyens incluent la mise au point de nouvelles technologies qui réduisent la consommation de matériaux et d'énergie, l'augmentation du rendement des terres agricoles et le recours au génie génétique pour concevoir de nouvelles plantes adaptées à des environnements pauvres.

Ceci va nécessiter des sacrifices. Un groupe de scientifiques a évalué que la préservation des 25 points chauds couterait, en mesures compensatoires et en recherche, 28 milliards de dollars. «C'est relativement peu, estime M. Wilson. Ceci équivaut à un millième du produit annuel brut mondial. C'est un très bon marché pour l'humanité.»

Notre avenir en dépend et, toujours selon Edward Wilson, il se construit actuellement une économie écologiste basée sur le développement durable et le maintien des ressources. «Une société, a-t-il conclu, ne se distingue pas seulement par ce qu'elle crée, mais aussi par ce qu'elle refuse de détruire.»

La sociobiologie

En présentant le nouveau docteur honorifique dont il est le parrain, Goerg Baron, professeur honoraire du Département de sciences biologiques, a souligné l'influence qu'ont eu les théories d'Edward Wilson sur l'ensemble des sciences, y compris les sciences humaines. «Il a changé notre façon de voir la nature et de comprendre notre place dans la nature», a-t-il affirmé.

Dans les sciences sociales, le choc de la sociobiologie appliquée à l'espèce humaine par M. Wilson a provoqué «l'une des plus grandes controverses scientifiques de notre époque, a dit le professeur Baron. Elle s'est terminée par la démonstration convaincante que le comportement humain ne peut se comprendre que dans le cadre de la théorie de l'évolution et que la génétique y joue un rôle. Les attaques contre cette approche ont été politiques et non scientifiques.»

Ne pouvant laisser ce thème de côté, Edward Wilson a ajouté que «le fossé entre les sciences de la nature et les sciences humaines commence à être comblé par des chercheurs des deux côtés qui jettent des ponts entre la biologie et la culture autour du concept de coévolution gène-culture», une autre notion qu'il a nourrie par ses travaux.

Daniel Baril



 
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