Édition du 29 novembre 2004 / volume 39, numéro 13
 
  Maurice Ptito obtient la Chaire Hartland-Sanders des sciences de la vision
Les recherches se poursuivent sur la conception d'un braille lingual destiné à «voir avec la langue»

Maurice Ptito, nouveau titulaire de la Chaire Hartland-Sanders des sciences de la vision, veut concevoir une prothèse pour les aveugles. Il fait une démonstration de son dispositif avec notre reporter, sous les yeux de Solveig Moesgaard.

Le neuropsychologue Maurice Ptito a été nommé titulaire de la nouvelle Chaire Hartland-Sanders des sciences de la vision. Dotée d'un capital de 1,2 M$, cette chaire lui permettra de travailler à un système découvert au Wisconsin par l'un de ses collègues, Paul Bach-y Rita, et qu'il a contribué à faire connaître aux quatre coins du monde. «La Chaire aura un effet de levier sur nos travaux, affirme le professeur Ptito. Nous allons cibler nos recherches sur la sensibilisation sensorielle chez l'aveugle.»

Même si plusieurs découvertes ont été réalisées dans son laboratoire, tout reste à faire avant que les aveugles  puissent «voir» avec leur langue grâce au Tongue Display Unit ou TDU. «Nous allons bientôt être en mesure de munir des sujets de recherche d'un TDU sans fil permettant aux aveugles de se déplacer dans un environnement contrôlé», explique-t-il à Forum à l'endroit même où se déroulera l'expérience. Et où sera aménagé un véritable «labyrinthe» grâce aux nouveaux fonds obtenus par la Chaire. Le chercheur dispose en effet d'un espace de recherche agrandi du tiers.

Le don de la Fondation Hartland-Sanders à l'École d'optométrie de l'UdeM est un événement en soi. C'est la première fois que la succession du «colonel» Sanders, fondateur de la chaîne de restauration rapide Poulet frit Kentucky, verse de l'argent à un établissement québécois d'expression française. L'École d'optométrie (100 000 $) et l'Université participent en parts égales à la mise de fonds initiale. «Puisque nous toucherons uniquement les intérêts, cette chaire est créée de façon permanente, souligne M. Ptito. Quand je partirai, un autre titulaire sera nommé.»

Un dispositif révolutionnaire

Spécialiste de la plasticité neuronale, M. Ptito était tout désigné pour s'intéresser à un appareil en mesure de «recycler» chez les aveugles les centres cérébraux spécialisés dans la vision. Mais la première fois qu'il a mis dans sa bouche la languette munie de 144 pixels capables de transmettre des influx électriques, il a été envahi par le doute. «Je me suis dit que cela ne marcherait jamais. Je n'y croyais pas», admet-il. Même si la puissance des impulsions électriques transmises par les pixels peut être modifiée par le sujet lui-même, ça a été la confusion la plus totale dans ses papilles.

Les aveugles qui ont participé à l'étude n'ont pas eu une réaction différente. Mais après trois ou quatre essais, ils parvenaient très souvent à distinguer si la lettre T était à l'endroit, de côté ou à l'envers. Après une semaine, leur taux de succès dépassait les 90 %. Il n'en fallait pas plus pour imaginer un dispositif plus précis capable de transmettre par la langue des formes, voire des perspectives complexes.

Relié à une caméra miniature fixée à une paire de lunettes, un écran lingual pourrait permettre aux aveugles de discerner les formes qui se trouvent devant eux. La caméra communique à un petit ordinateur portatif la forme des murs, par exemple, et les images sont envoyées sur l'écran. C'est à ce point que le chercheur se trouve. «Nous avons obtenu des résultats intéressants et prometteurs, mais tout reste à faire avant de pouvoir parler d'une prothèse fonctionnelle. Percevoir les mouvements, reconnaître les formes, s'orienter dans un labyrinthe... Nous avons du pain sur la planche.»

«Voir» avec la langue n'est pas aussi fantaisiste qu'il y paraît. Baignant dans un milieu aqueux (donc fortement conducteur), la langue est un organe accessible dont on situe bien la représentation corticale dans le cortex pariétal. Avec un perfectionnement de la technique, elle pourrait être assez sensible pour permettre de détecter des détails qu'on peut mal imaginer aujourd'hui. Après tout, fait remarquer M. Ptito, avec la langue on goûte des épices très délicates, on distingue les bons vins des grands crus, etc.

Braille lingual

Selon M. Ptito, la réaction initiale d'insensibilité n'est pas étonnante. Elle peut se comparer à
celle du voyant qui touche de l'alphabet braille. «Il nous apparaît incroyable que quelqu'un puisse lire des textes complets avec le bout de ses doigts. Pourtant, les aveugles le font quotidiennement grâce à leur cortex visuel.»

Lorsque les spécialistes examinent le cerveau des voyants qui lisent le braille, ils constatent que c'est leur cortex tactile qui est activé. De même, les voyants qui ont appris à utiliser le système lingual le font grâce à la partie de leur cerveau consacrée au goût. Chez les aveugles, le professeur Ptito a démontré que c'était bien le cortex visuel qui était mis à contribution.

Toutefois, pour ce qui est de la mise au point d'un tel «braille lingual», Maurice Ptito demeure prudent. Il ne faut pas donner de faux espoirs aux aveugles, précise-t-il. «Cependant, nos recherches prouvent que cet organe possède une sensibilité absolument phénoménale qu'on pourrait certainement mieux exploiter.»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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