Édition du 6 décembre 2004 / volume 39, numéro 14
 
  courrier des lecteurs
Les recherches sur le QI évacuent les inégalités sociales

C'est avec une profonde indignation que j'ai lu la capsule science de l'édition du 22 novembre du journal Forum. La capsule y rapporte les propos du professeur Serge Larivée, de l'École de psychoéducation, qui, «sans aucune hésitation», argue que les riches sont en moyenne plus intelligents que les pauvres. Selon le professeur, le test de quotient intellectuel (QI) le démontre scientifiquement.

Plus de 100 ans de recherches sur les déterminants sociaux de la pauvreté balayés du revers de la main par un argument idéologique ­ basé sur la «biologisation» du social ­ renforcé par un test dont la validité scientifique et l'utilité sociale ont été vertement critiquées par nombre de scientifiques. Il s'agit bien ici de surdétermination du facteur génétique sur ce qui est fondamentalement du ressort des rapports sociaux. 

Sans verser dans l'eugénisme, dit-il, M. Larivée affirme qu'un QI moins élevé explique généralement un statut socioéconomique moins élevé. Ce type d'assertion implique des raisonnements dont les conséquences sont potentiellement terribles.

En ne poussant pas trop loin le raisonnement, il devient aisé d'affirmer que les inégalités sociales sont en majeure partie tributaires du profil génétique d'une population ou d'un individu et que les mesures pour les contrer sont vaines, à moins bien sûr de verser dans l'eugénisme. En d'autres termes, pour lutter contre les inégalités sociales, rien ne sert d'agir contre les déterminants sociaux ­ exclusion, précarité, racisme, etc. ­ et mieux vaut investir dans la recherche génétique, considérée comme la clé de voûte de la compréhension de l'humain, de ses comportements à son destin.

Le colonialisme justifié

De même, si l'intelligence, ou le QI, explique le statut socioéconomique d'un individu ou d'une population, donc les inégalités sociales, cela revient à dire que les habitants du tiers-monde sont moins intelligents que leurs semblables dans les pays privilégiés. Dit autrement, l'Afrique est pauvre parce que sa population est moins intelligente. Le colonialisme et le néocolonialisme n'y sont aucunement en cause. Au contraire, cela le justifie au nom du développement. On prend ici la mesure de ce qu'implique ce type de recherche sur l'intelligence humaine. L'actuelle omniprésence de propos faisant des gènes l'explication première de l'homme ne démontre aucunement leur validité scientifique ni leur légitimité sociale. On ne décrète pas la véracité d'un énoncé à l'applaudimètre.

Loin de moi l'idée de prêter des intentions malveillantes au professeur cité dans cette capsule science, le danger étant ailleurs. En effet, ce type de recherche peut éventuellement servir de caution à des projets aux effets hasardeux ou aux finalités machiavéliques. L'autorité que procure le statut scientifique d'un argument, d'un individu ou d'un groupe peut servir à des intentions et des actes irrationnels. Les travaux de Milgram l'ont clairement démontré. C'est un truisme mais, faut-il le rappeler, la science doit être au service de l'humanité et non le contraire.

C'est pourquoi, en tant que membre de la communauté universitaire, je tiens à manifester mon désaccord quant au contenu de la dernière capsule science. Je tiens aussi à exprimer mon embarras au journal Forum, journal officiel de l'Université de Montréal, pour avoir servi de courroie de transmission à ce genre de propos. Enfin, je désire souligner à quel point je suis indigné devant les universités et les organismes subventionnaires qui contribuent aux recherches sur le QI et qui, par extension, détournent l'attention (et les fonds!) des véritables enjeux, en premier lieu ceux concernant les inégalités dont les fondements sont au demeurant toujours sociaux. 

Alexis Robin-Brisebois
Candidat à la maîtrise en sociologie
Université de Montréal



 
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