Édition du 13 décembre 2004 / volume 39, numéro 15
 
  «Nous ne sommes pas une fabrique de handicapés»
La néonatologiste Francine Lefebvre fait le point sur la situation des enfants prématurés

Simon Théorêt est né prématurément. Il est aujourd'hui pétant de santé. On le voit ici avec la néonatologiste Francine Lefebvre.

On a beaucoup parlé des enfants nés prématurément ces dernières semaines, dans la foulée du documentaire-choc de Lina Moreco, Médecine sous influence, produit par l'ONF. Un tel débat, qui suscite inévitablement émotions et controverses, gagne à être éclairé par des données objectives qui ont parfois fait défaut dans les discussions entendues.

La Dre Francine Lefebvre, professeure agrégée de clinique au Département de pédiatrie et néonatologiste à l'Hôpital Sainte-Justine, dirige depuis plusieurs années un programme de recherche longitudinale auprès d'une cohorte de 657 enfants nés entre 23 et 28 semaines de gestation et d'une seconde cohorte de 82 enfants qui pesaient moins de 1000 gr à la naissance. L'ensemble de ces données, présentées à une conférence à l'Université Laval en octobre dernier, permet d'avoir un portrait complet de la situation et du développement des prématurés. Certaines données inédites feront l'objet d'une publication dans la revue Acta Paediatrica au printemps prochain.

Développement moteur

On considère comme prématuré un enfant né avant la 37e semaine de gestation. Selon les pédiatres, le nombre de ces naissances, qui se situerait autour de 5000 par année au Québec, est à la hausse à cause du nombre plus élevé de grossesses tardives et des fécondations in vitro.

Selon les données de la Dre Lefebvre, on ne sauvait aucun enfant né à 24 semaines de gestion en 1987. Cinq ans plus tard, on en sauvait 33 %. Au cours de cette même période, le taux de survie des enfants nés à 27 et à 28 semaines est passé de 66 à 84 %.

Le nombre d'enfants sauvés a donc augmenté et cet accroissement serait dû à deux facteurs: d'une part, la technologie et les soins se sont améliorés et, d'autre part, il y a une demande accrue de la part des parents pour sauver ces enfants.

Mais quelle est leur qualité de vie? Les données de la première cohorte montrent que les interventions sont effectivement de meilleure qualité puisque, à l'âge de 18 mois, 39 % des enfants prématurés nés entre 1987 et 1990 souffraient soit de paralysie cérébrale, de cécité, de surdité ou de retard de développement; le taux de ces handicaps sérieux avait baissé à 22 % chez les enfants nés entre 1998 et 2000.

Le développement physique de ces enfants affiche toutefois un retard persistant: à sept ans, ils ont un poids moyen de 23 kg et une taille moyenne de 122 cm, alors que ces valeurs pour les enfants nés à terme sont de 26 kg et de 126 cm. Leur quotient intellectuel (QI) est également inférieur à la moyenne, soit 100 points contre 114 pour les enfants nés à terme (la moyenne pour l'ensemble de la population, tous âges confondus, est de 100). Le QI plus faible chez les prématurés est corrélé avec une moins bonne estime de soi, ce qui est observable dès l'âge de cinq ans.

Les mesures électrocorticales établissent que les stimulus auditifs sont traités différemment par le cerveau des prématurés. C'est la zone centrale du cerveau qui réagit le plus aux différents stimulus sans distinction entre stimulus rares ou fréquents, alors que chez les enfants nés à terme les ondes cérébrales et leur localisation démontrent une discrimination selon la fréquence du stimulus. Cela indique une altération du traitement de l'information chez les prématurés, estime la Dre Lefebvre.

Lorsqu'il s'agit d'un stimulus visuel associé à une tâche motrice, l'activation cérébrale est plus diffuse chez les prématurés et plus localisée chez les enfants nés à terme. L'activation plus diffuse résulterait d'une compensation pour un manque de connections synaptiques.

Réussite scolaire

La seconde cohorte d'enfants prématurés, dont la caractéristique était un poids inférieur à 1000 gr à la naissance, a été suivie pendant 18 ans.

Sur le plan scolaire, 76 % de ces enfants fréquentaient les classes ordinaires à six et sept ans et 33 % d'entre eux éprouvaient des difficultés d'apprentissage. Les autres (24 %) avaient besoin de services d'éducation spécialisés. Pour l'ensemble du primaire, 55 % ont dû redoubler une année, contre 17 % chez les enfants nés à terme.

À 18 ans, 11 % de cette cohorte présentaient des troubles graves de paralysie cérébrale, de surdité ou de cécité et le QI général moyen était de 95, comparativement à 107 pour le groupe témoin. Soixante et un pour cent de l'ensemble de la cohorte ont obtenu leur diplôme d'études secondaires, contre 87 % chez les enfants nés à terme.

Fabrique de handicapés?

Que faut-il penser de ce portrait d'ensemble? Pour Francine Lefebvre, la situation est loin d'être aussi alarmante que le tableau brossé dans le documentaire de l'ONF. Chaque fois qu'un enfant est affecté par la paralysie ou la cécité, c'est un drame, mais le taux de 50 % entendu dans certains débats entourant la diffusion du documentaire est loin d'être atteint. Et la réussite scolaire, malgré le déficit intellectuel, s'avère assez élevée.

«Nous n'avons pas l'impression d'être une fabrique de handicapés, déclare-t-elle. Le taux de survie est excellent et la qualité de vie de ces enfants s'améliore. Nous recevons de nombreux témoignages de parents heureux des conditions de vie de leurs enfants et ils constituent la grande majorité des cas.»

Selon la néonatologiste, la proportion de handicaps est équivalente à ce qu'on trouve ailleurs dans le monde et le Québec ne fait pas moins bonne figure que les États-Unis ou l'Europe. Elle déplore que le problème du manque de ressources pour aider les familles d'enfants prématurés passe inaperçu dans le reportage alors qu'il s'agit d'un élément central. «Il ne faut pas seulement assurer la survie, mais se donner les moyens pour que cette vie soit de bonne qualité.»

Les médecins ne sont par ailleurs pas en mesure de déterminer avec certitude, dans les premières semaines ou les premiers mois de la vie, quels enfants seront affectés de problèmes lourds. «Certains cas graves d'hémorragie cérébrale ne trompent pas, mais tous les cas d'hémorragie ne conduisent pas à la paralysie ou à la surdité, indique la chercheuse. Certains enfants s'en tirent malgré cet accident et d'autres, qui n'avaient pas d'hémorragie, sont aux prises avec des difficultés sérieuses.»

La décision à prendre en pareille situation n'est certes pas facile. À chacun de juger. Dans ses conférences, la Dre Lefebvre ne manque pas de terminer sur une note optimiste en présentant cette phrase écrite à la main par une jeune fille prématurée: «Je veux vous dire que je suis heureuse d'être en vie à cause de vous. Merci de m'avoir aidée à survivre.»

Daniel Baril



 
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