Édition du 13 décembre 2004 / volume 39, numéro 15
 
  Entre juifs et chrétiens, un dialogue sous influence
La Faculté de théologie et de sciences des religions consacre le dernier numéro de sa revue Théologiques au dialogue entre juifs et chrétiens

Après un antijudaïsme au sein de l'Église catholique qui aura duré 18 siècles, un dialogue fragile s'est instauré entre chrétiens et juifs, lorsque les premiers ont reconnu leur part de responsabilité dans la Shoah. Cinquante ans plus tard, les préoccupations politiques continuent de marquer les échanges entre les deux communautés, avec le conflit israélo-palestinien meublant les esprits en permanence. 

Alain Gignac

Il était donc naturel que les responsables de la revue Théologiques, Jean Duhaime et Alain Gignac, respectivement professeur titulaire et professeur adjoint à la Faculté de théologie et de sciences des religions, fassent une place à la dimension politique du dialogue, même théologique, entre les deux communautés.

«Si un consensus se dégage du présent dossier, écrivent les deux professeurs en préface, c'est bien que la situation au Proche-Orient conditionne aujourd'hui le dialogue et qu'éluder la difficulté risque seulement de le faire exploser.» De toute manière, poursuivent-ils, «la théologie est née d'un effort de donner sens à la vie et n'a jamais évolué autrement que provoquée par les événements».

Quatre des 16 personnes qui ont collaboré au numéro de la revue traitent de l'impact du conflit sur les rapports entres juifs et chrétiens. «Que veut dire soutenir Israël? Ou être pour les Palestiniens»? demande Odile Flichy, attachée aux facultés jésuites de Paris. 

Pour sa part, M. Gignac observe que «[depuis] la Shoah les juifs veulent un appui inconditionnel de la part des chrétiens et on ne peut le leur donner».

Jean Duhaime

MM. Duhaime et Gignac, avec qui Forum s'est entretenu récemment, font tous deux partie du Dialogue judéo-chrétien de Montréal, un groupe constitué de représentants des deux communautés. M. Duhaime préside le groupe depuis un an. «Nous évoquons le passé pour développer une ouverture aux autres cultures», dit-il.

Le groupe organise des rencontres mensuelles, s'attarde aux divergences d'interprétation des textes sacrés, débat de diverses problématiques contemporaines (il a par exemple publié un communiqué à la sortie du film La Passion, de Mel Gibson) et met sur pied diverses activités. Ainsi, M. Gignac avait proposé à une communauté chrétienne de Laval de marquer la commémoration annuelle de la Shoah. Cela n'a pas été possible. Beaucoup de membres de l'église en question provenaient du Proche-Orient et, avec le conflit israélo-palestinien, ils n'ont pas voulu s'unir de la sorte à la communauté juive.

«L'impact du conflit chez nous est réel. La convivialité qui s'est installée est menacée par une situation qui se passe à l'extérieur. Lorsqu'on empêche un ex-premier ministre [d'Israël] de prendre la parole dans une université, on n'est pas loin d'une fracture dans les rapports d'une communauté», indique M. Duhaime.

Le côté sombre de la foi

Le thème du numéro de Théologiques s'inscrit donc dans l'actualité. Sa lecture permet de mesurer le chemin parcouru depuis qu'on a débarrassé «le christianisme de l'enseignement du mépris à l'égard du peuple juif», comme l'écrit Gérald Caron, de l'Atlantic School of Theology. M. Caron suggère aux chrétiens d'«affronter le côté sombre de leur foi».

Dans un autre chapitre de la revue, Jean Dujardin, prêtre de l'Oratoire et ancien secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme, rappelle que la mission des chrétiens a été, pendant longtemps, passablement simple. Ils n'avaient pas à se creuser la tête, «ils devaient travailler à la conversion du peuple juif».

L'ouvrage de la Faculté de théologie et de sciences des religions permet de mesurer la portée du changement opéré depuis 50 ans, changement consacré par le pape Jean XXIII lorsqu'il décide de supprimer en 1959 les mots perfidis et perfidiam dans la prière pour les juifs du Vendredi saint.

Plus près de nous, en mars 2000, le pape Jean-Paul II a déposé sa demande de pardon au Mur de Jérusalem. Et, en janvier dernier, il rencontrait les deux grands rabbins d'Israël. C'était la première fois qu'un tel échange avait lieu, non sans de laborieuses tractations protocolaires au préalable, il faut le préciser (par exemple, les rabbins ont obtenu qu'aucun crucifix ne domine la salle d'audience du Vatican).

Maintenant que les deux communautés ont pris l'habitude du dialogue, M. Gignac espère que la prochaine génération ­ qui sera plus éloignée de la tragédie de la Shoah ­ saura poursuivre le travail de rapprochement. «La première chose, résume-t-il, c'est de se comprendre, souvent en
réapprivoisant notre propre héritage.»

Paule des Rivières



 
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