Édition du 13 décembre 2004 / volume 39, numéro 15
 
  Des circuits neurologiques prédisposent à l'empathie
Les travaux d'Hugo Théoret démontrent que les neurones miroirs, à l'origine de l'empathie, sont perturbés chez les autistes

La simple observation d'une action, comme celle d'une main qui bouge un doigt sur un écran vidéo, active les neurones prémoteurs de cette action chez l'observateur. Ce réseau de neurones miroirs jouerait un rôle dans l'apprentissage des rapports sociaux.

Lorsque nous observons quelqu'un faire un geste, les circuits neuronaux qui commandent cet acte s'activent dans notre cerveau même si nous demeurons totalement immobiles. Le phénomène se répète quand nous entendons un son associé à un mouvement particulier, comme taper des mains.

Cette étonnante constatation a été faite sur des chimpanzés au début des années 90 et ce phénomène  a été attesté par la suite chez les êtres humains. Les circuits neuronaux en question ont été appelés neurones miroirs parce qu'ils reflètent l'activité cérébrale de la personne qui accomplit le geste. Ces circuits ont été localisés dans le cortex prémoteur et plus particulièrement dans l'aire de Broca.

Selon les théories actuelles, les neurones miroirs seraient à la base de l'apprentissage par imitation, une fonction centrale notamment dans l'apprentissage de la langue.

«Ces cellules sont vraiment à la source de la compréhension de ce qui se passe chez les autres personnes, affirme Hugo Théoret, chercheur au Département de psychologie. Les recherches montrent que la compréhension d'une action est possible lorsque l'observateur la reproduit dans son propre système moteur. Si l'on suspend l'activité des neurones miroirs par stimulation magnétique transcrânienne, le sujet ne comprend plus ce que fait l'autre.»

Selon le chercheur, les neurones miroirs non seulement nous feraient reproduire mentalement ce que font les autres, mais joueraient également un rôle fondamental dans l'empathie en permettant d'éprouver ce que ressentent les gens. Les cellules miroirs expliqueraient pourquoi les émotions, tant le rire que la peine, sont contagieuses; en voyant une personne s'esclaffer ou pleurer, nous ressentons automatiquement la même émotion. Ces réseaux constitueraient donc l'une des bases neuronales de la cognition sociale gérant l'établissement de nos relations avec les autres.

Déficit chez les autistes

Hugo Théoret

Hugo Théoret a voulu tester cette hypothèse auprès d'autistes. «Si les circuits des neurones miroirs sont à l'origine de l'empathie, l'un des effets de leur perturbation pourrait être l'autisme», affirme-t-il.

L'empathie est la capacité d'attribuer un état mental à quelqu'un d'autre et de comprendre ce qu'il ressent. On sait que l'autisme se caractérise entre autres par un déficit de cette habileté.

Le chercheur a conçu une expérience simple qui consiste à observer la vidéo d'une main qui bouge un doigt. Les sujets doivent d'abord observer le geste tout en demeurant immobiles et, ensuite, imiter le geste. Pendant ce temps, des mesures électrocorticales du cortex prémoteur sont prises.

Chez les membres du groupe témoin, les mesures de potentiels évoqués montrent la même activation cérébrale dans la zone des neurones miroirs lorsque les sujets observent l'action et lorsqu'ils la reproduisent. Chez les sujets autistes, l'activité neuronale pendant l'observation est significativement plus faible que lorsqu'ils exécutent le geste. «Leurs neurones miroirs sont déficitaires, conclut Hugo Théoret. Nous avons établi pour la première fois qu'il n'y a pas de parité dans les décharges neuronales entre l'observation et l'exécution d'un geste chez les autistes.»

À son avis, ce déficit pourrait être la cause des difficultés qu'éprouvent les autistes à se représenter les états mentaux des autres et à reproduire des relations sociales de réciprocité. Les résultats de cette expérience paraitront dans le prochain numéro de Current Biology.

Hugo Théoret a entrepris de répéter l'expérience en prenant cette fois comme indicateur la psychopathie. Comme les autistes, les psychopathes ont de la difficulté à éprouver de l'empathie. Selon son hypothèse, plus un sujet se situe à un niveau élevé sur l'échelle mesurant la psychopathie, moins ses neurones miroirs seraient actifs et, en conséquence, moins il serait sensible à une image de douleur chez les autres.

Structures présentes chez les enfants

Shirley Fecteau

Sous la direction d'Hugo Théoret, une étudiante au postdoctorat, Shirley Fecteau, a réussi à prouver, pour la première fois, que les réseaux de neurones miroirs sont présents chez les très jeunes enfants, dont le cerveau est encore en développement.

Profitant d'une intervention chirurgicale au cerveau pour traiter un problème d'épilepsie chez une enfant de trois ans, la chercheuse a pu observer une activation neuronale dans le cortex sensorimoteur lorsque l'enfant observait une main en train de dessiner. Ces mêmes zones étaient également actives lorsque l'enfant faisait elle-même le dessin.

«Ceci montre que le mécanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature», fait-elle remarquer. L'activation est toutefois plus réduite que celle observée chez les adultes, ce qui indique que ces réseaux, probablement en place dès la naissance, continuent de se développer dans des stades ultérieurs de l'enfance.

«Il est important de souligner que le déficit des cellules miroirs n'explique pas à lui seul les maladies comme l'autisme et la psychopathie, précise Hugo Théoret. Plusieurs autres facteurs sont en cause. Mais ces affections ont un symptôme en commun, le manque d'empathie, et ce symptôme relève d'une pathologie commune dans les circuits des neurones miroirs.»

Daniel Baril



 
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