Édition du 10 janvier 2005 / volume 39, numéro 16
 
  Les forêts publiques québécoises sont en danger
André Bouchard a consacré six mois de travail à la commission Coulombe

La commission d'étude a produit un «rapport Parent de la foresterie», dit André Bouchard.

Après 40 allers-retours entre Montréal et Québec, 10 semaines d'audiences publiques de Gaspé à Chibougamau et d'innombrables visites sur le terrain (dont des vols en hélicoptère à la limite nordique des arbres), le botaniste André Bouchard est affirmatif: l'état de la forêt québécoise est alarmant. «C'est pire que ce à quoi je m'attendais», dit ce professeur du Département de sciences biologiques qui a consacré six mois de travail à la commission Coulombe, dont le rapport a été déposé en décembre dernier.

Chargée d'examiner la gestion des forêts publiques québécoises et de proposer des façons de l'améliorer, la Commission d'étude sur la gestion de la forêt publique québécoise, dirigée par le haut fonctionnaire à la retraite Guy Coulombe, ancien p.-d.g. d'Hydro-Québec, a dressé un bilan très sévère de l'état de la ressource. «La Commission en vient à la conclusion qu'il y a, globalement, surexploitation ligneuse des forêts du Québec [...] et [elle] recommande un vaste programme de réhabilitation des forêts feuillues dégradées», écrit-elle dans son rapport.

L'écologiste dirige huit étudiants à la maîtrise et au doctorat. On le voit ici dans le boisé des Muir, le plus beau laboratoire de l'UdeM.

Qualifié de «rapport Parent de la foresterie» en référence au célèbre document qui a réformé le système d'éducation dans les années 60, le rapport de la commission Coulombe contient plus de 80 recommandations dans les domaines de la recherche, de la préservation des ressources, de la sylviculture, de la gestion intégrée, de la collaboration avec les autochtones et de l'aménagement écosystémique. Certaines de ces recommandations appellent un virage radical qui va dans le sens des constats établis par la vérificatrice générale du Québec en 2002.

Dans son rapport annuel, Doris Paradis avait en effet mis en lumière le manque de connaissances objectives du ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs sur l'état de nos forêts. Faisant suite au fracas médiatique ayant accompagné la sortie du film L'erreur boréale, de Richard Desjardins et Robert Monderie (1800 reportages diffusés, 300 projections publiques), ce rapport dévastateur est à l'origine de la commission Coulombe. «Je crois que nous n'avons rien inventé, confie M. Bouchard. Il me semble que tout ce que nous avons entendu et observé était connu depuis longtemps. Nous n'avons fait que mettre ensemble toutes sortes d'informations.»

M. Bouchard, universitaire de carrière (il est actuellement directeur de l'Institut de recherche en biologie végétale et dirige plusieurs étudiants à la maîtrise et au doctorat), s'est longuement interrogé sur le caractère indépendant de la commission avant d'y prendre part. Il tenait à avoir les coudées franches. Il les a eues.

Surprise!

Ce qui a le plus surpris André Bouchard, c'est notre incapacité à administrer adéquatement les richesses ligneuses du territoire forestier au Québec, même après deux siècles d'exploitation. «Au rythme actuel, la pénurie est en vue. On est en train de se diriger vers l'épuisement de la ressource. Il faut donc un coup de barre immédiat.»

La forêt publique québécoise totalise 300 000 km2, soit l'équivalent de la superficie de l'Italie. Mais les forêts les plus accessibles ont été visitées depuis longtemps par les débusqueuses. Les entreprises forestières ont donc des visées sur les forêts nordiques qui sont au-delà de la limite permise. Après avoir survolé la région, André Bouchard n'avait pas de bonnes nouvelles pour elles. «La limite actuelle me semble convenable. J'estime qu'il ne faudrait donc pas modifier cette norme.»

L'écologiste s'insurge contre la faible superficie d'aires protégées sur le territoire. Alors que l'Ontario possède quelque 77 000 km2 de parcs nationaux, le Québec n'en a que 6000 km2. Son exaspération se reflète dans le rapport puisque la commission ne laisse que deux ans au gouvernement du Québec avant de passer aux actes. «La commission invite aussi le gouvernement à procéder le plus rapidement possible à la désignation d'aires protégées de façon que la cible de 8 % de la superficie du Québec sous protection soit atteinte d'ici à la fin de 2006», peut-on lire.

Le retard accumulé est tel que la commission estime que les aires protégées devraient continuer de s'étendre pour atteindre 12 % de la forêt boréale en 2010. C'est un saut quantique par rapport à ce qui s'est fait jusqu'à maintenant.

Le rapport de la commission Coulombe pourrait réformer en profondeur l'industrie forestière et la façon de gérer la forêt publique. Entre autres virages, la commission recommande une diminution de 20 % de la «possibilité ligneuse» d'ici 2008. Cela signifie, en clair, une baisse équivalente de revenus pour les entreprises forestières. Comme on le devine, celles-ci ne se réjouissent pas.

Écologie et économie

Conscient du caractère radical des recommandations de la commission, André Bouchard signale que les préoccupations écologistes peuvent rejoindre les préoccupations économiques. «Ça donne quoi d'épuiser la ressource à tout prix s'il faut fermer les moulins à scie 20 ans plus tard parce qu'il n'y a plus d'arbres? demande-t-il. La réduction de l'exploitation de la ressource, cela ne relève pas d'une préoccupation strictement écologique. On préserve l'économie à long terme...»

Dans la forêt méridionale mixte, les arbres comme l'érable, le chêne et le noyer, pourtant des essences indigènes, sont de nos jours si rares que les ébénistes doivent commander leur bois aux États-Unis lorsqu'ils fabriquent des meubles. «Si écologistes et économistes s'étaient entendus il y a 25 ans pour éviter la rupture de stock, on n'en serait pas là aujourd'hui, affirme-t-il. À long terme, les valeurs écologiques et les préoccupations économiques convergent.»

Fier du rapport qu'il signe avec cinq autres commissaires (Jules Arsenault, Éric Bauce, Jean-Thomas Bernard, Jean Huot et Marie Anick Liboiron) et le président, André Bouchard estime que la balle est dans le camp du gouvernement.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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