Édition du 17 janvier 2005 / volume 39, numéro 17
 
  «Tu gardes l’auto, je garde Fido!»
Pour le juriste Alain Roy, l’animal de compagnie devient un nouveau sujet de droit et la loi devrait en tenir compte

Il arrive que le pitou chéri soit l’objet d’une féroce bataille entre deux adultes lors d’une séparation.

Lorsque l’huissier sonne à la porte de monsieur pour quérir Benji, un bichon maltais de six mois que réclame son ex-conjointe, le représentant de la cour essuie un refus catégorique. Pas question que monsieur se sépare du chien.

Mal lui en prend, car dans cette cause entendue le 19 juin 2000 à la Cour du Québec, district de Montréal, la plaignante obtient gain de cause et monsieur est reconnu coupable d’outrage au tribunal. «De plus en plus, nous sommes confrontés à ce genre de situation où des animaux de compagnie sont concernés par un litige entre deux personnes au moment de leur rupture. Ce sont des sujets de droit en émergence», commente Alain Roy, professeur à la Faculté de droit. Dans une recherche publiée récemment dans la Revue du Barreau canadien, ce spécialiste du droit de la famille a réalisé une synthèse des connaissances sur l’animal de compagnie au Canada, en Europe et aux États-Unis. Le rapport qu’il a produit ne manque pas de piquant. «Dans l’affaire Leffers c. Da Silva, peut-on lire, le propriétaire d’un chaton sauvagement tué par un saint-bernard ayant échappé à la surveillance de son maître n’a pu obtenir de ce dernier qu’un maigre 183,99 $, représentant le montant déboursé pour l’achat du pauvre félin.»

«Je prends Minet...

Il y a aussi le cas, pathétique, d’un employé d’une clinique vétérinaire qui a introduit par erreur un poméranien dans une cage où séjournaient déjà deux molosses. Ceux-ci n’en ont fait qu’une bouchée. Ou encore ce requérant qui a poursuivi un autre vétérinaire pour avoir égaré les cendres de son chat bien-aimé qu’il aurait voulu «enterrer dignement».

À la cour, les plaignants qui ont gain de cause reçoivent des compensations dérisoires compte tenu du lien affectif très fort qui les unit à leurs bêtes. «C’est que le Code civil définit l’animal comme une chose. En principe, les juges doivent le considérer ainsi et appliquer la règle juridique régissant la perte d’un bien», explique le juriste. Ni une chose ni une personne.

En vertu du Code civil, on est une «personne» ou une «chose». Les animaux paient le prix de ce manichéisme, car ils ne sont pas tout à fait l’une ni tout à fait l’autre. «Actuellement, si un couple se sépare, les tribunaux n’ont pas d’autre choix que de tenir l’animal domestique pour l’équivalent d’un lave-vaisselle ou d’un divan-lit. On calcule sa valeur et on divise en deux s’il y a lieu.»

On voit de plus en plus les couples convenir d’une garde partagée après leur rupture ou chercher le meilleur intérêt du chien, le cas échéant. Toutefois, si le litige persiste, la loi n’est pas d’un grand secours. «À mon point de vue, il faudrait réformer la loi pour tenir compte du statut des animaux de compagnie», estime Alain Roy, qui a lui-même un chat. Attention, prévient-il.

... et toi Mirza!»

L’animal ne doit pas devenir une «personne» ayant des droits proches de ceux de ses maîtres, mais son statut de «chose» est nettement inapproprié. «L’animal domestique n’est pas une chose qu’on peut traiter à travers le même filtre juridique que les biens mobiliers, au risque d’aboutir à des résultats absurdes et inadaptés aux réalités contemporaines», signale-t-il dans la conclusion de sa recherche.

La Suisse a innové en cette matière depuis qu’elle a introduit une disposition qui commence ainsi: «Les animaux ne sont pas des choses.» On y précise que, s’il doit intervenir dans un cas de séparation où les conjoints se disputent la garde de Fido, le juge doit en attribuer la propriété exclusive à la partie qui «représente la meilleure solution pour l’animal».

L’Allemagne a elle aussi, dès 2002, adopté une disposition similaire. Et la France pourrait suivre sous peu.

De l’animal-machine au meilleur ami

Alain Roy

Alors que René Descartes considérait l’animal comme une machine biologique au service de l’homme, le philosophe Jean-Jacques Rousseau, quelques siècles plus tard, a fait valoir une approche plus anthropomorphique de l’animal de compagnie. «Il était l’ami, presque l’esclave de son chien, de sa chatte, de ses serins», écrit-il dans les Dialogues écrits.

Aujourd’hui, la vénération des Occidentaux pour leurs animaux de compagnie est parfois obsessive. Alain Roy rapporte que 27 % des propriétaires de chiens et de chats aux États-Unis ont fait photographier pitou ou minou dans les bras du père Noël; 39 % ont inséré la photo de Mirza ou de Minet dans l’album de famille. Au Canada, 75 % des propriétaires offrent un cadeau à leur animal à Noël ou à leur anniversaire…

Au décès de leurs compagnons à fourrure, il n’est pas rare de voir des maîtres sombrer dans la dépression. Ils vivent un deuil comparable à celui qui accompagne la mort d’un parent. «Qu’on en rie ou pas, les liens affectifs entre l’homme et l’animal sont une réalité sociale indiscutable et le législateur devrait en tenir compte», résume Alain Roy. Le juriste souligne que les enjeux soulevés par cette question sont bien secondaires au regard des autres défis de son champ de compétence. «Familles reconstituées, redéfinition du mariage, union civile, l’État a bien d’autres chats à fouetter. Sans jeu de mots, dit-il en riant. Mais dans la mesure où ce phénomène est de plus en plus présent devant nos tribunaux, je crois qu’il méritait qu’on s’y attarde.»

Mathieu-Robert Sauvé 



 
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