Édition du 17 janvier 2005 / volume 39, numéro 17
 
  La vitesse excessive n’est pas assez punie
Une chercheuse dénonce le double discours sur la vitesse au volant

Chaque année, la vitesse au volant est à l’origine de 200 décès.

Chaque année au Québec, la vitesse excessive au volant est à l’origine de 200 décès en plus de causer des blessures à 6000 personnes. Il s’agit de la deuxième cause en importance de décès sur les routes, juste après l’alcool au volant. Des statistiques du ministère des Transports indiquent que 77 % des conducteurs de véhicules de promenade excèdent les limites de vitesse en ville, 64 % sur les routes principales et 75 % sur les autoroutes.

«La conduite à grande vitesse n’est pas assez sévèrement punie au Québec», estime Marie Claude Ouimet, qui met actuellement la dernière main à son doctorat sur la conduite dangereuse au Département de psychologie. Alors que les Pays-Bas ont fait de la conduite à grande vitesse un acte potentiellement criminel, au Québec un tel comportement est très peu puni. La spécialiste précise qu’elle entend par «conduite à grande vitesse» un excès de 45 à 50 km/h de la limite permise.

Au cours de ses recherches, elle a pu joindre de jeunes conducteurs qui avaient été interceptés par la police pour excès de vitesse. Elle leur a donné un questionnaire à remplir pour connaître leur degré de motivation à ralentir sur les routes. «Dans ma thèse, j’ai adapté la rétroaction personnalisée aux comportements de vitesse. Cette méthode est souvent employée pour modifier les habitudes en matière de santé.»

Il s’agissait de voir si les conducteurs qui dépassent régulièrement les limites de vitesse peuvent changer leurs attitudes après avoir bénéficié d’une intervention personnalisée. Mme Ouimet a pu communiquer avec plus de 60 conducteurs grâce à la collaboration de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). L’analyse des résultats, actuellement en cours, semble démontrer qu’il est difficile de résister à l’attrait de la vitesse. «Il ne faut pas oublier que, malgré les campagnes de la SAAQ, la vitesse est très valorisée dans notre société. La performance est souvent un argument de vente.»

Combien de publicités télévisées, par exemple, montrent des automobiles filant à vive allure sur des routes sinueuses?

Prévention musclée

Marie Claude Ouimet dans le trafic

Une partie de sa recherche consiste en la comparaison des mesures prises pour lutter contre l’alcool au volant par et la conduite à grande vitesse. Alors que la conduite avec des facultés affaiblies est sévèrement punie par des lois fédérales et provinciales (des peines d’emprisonnement sont même prévues dès la deuxième offense), rien de tel n’existe pour la grande vitesse, qui demeure sanctionnée par de timides lois provinciales. «Actuellement, les conducteurs ne perdent leur permis que s’ils écopent, en deux ans, de trois contraventions pour excès de 50 km/h», mentionne Marie Claude Ouimet.

Depuis 30 ans, les responsables de la sécurité publique ont mené d’énergiques campagnes de prévention pour diminuer le nombre de décès liés à l’alcool au volant. Avec un succès indiscutable. «Mais de l’autre côté, les méthodes de prévention de la vitesse excessive ont été peu développées et sont centrées sur la contravention. Il serait important de diversifier les moyens utilisés», suggère Mme Ouimet.

Pour elle, une approche plus musclée est de mise en ce qui concerne les conducteurs ayant été condamnés pour conduite à grande vitesse et particulièrement lorsqu’il s’agit de récidivistes. Il y a loin de la coupe aux lèvres. «À l’heure actuelle, la sanction la plus sévère est la révocation de permis, indique-t-elle. Or, on sait que 45 % des conducteurs au permis révoqué réussissent à obtenir un permis restreint sous prétexte que leur voiture est essentielle à l’exercice de leur profession.»

Un élément déterminant se trouve du côté de l’opinion publique. Si celle-ci est en faveur de la «tolérance zéro» dans le cas de l’alcool au volant, elle n’appuie pas autant les mesures répressives contre les excès de vitesse. On n’a qu’à juger de la vitesse des automobiles sur les routes. Plusieurs conducteurs se font klaxonner lorsqu’ils filent à la vitesse maximale. «Combien de gens savent que la vitesse indiquée est établie en fonction de conditions idéales? S’il pleut ou s’il neige, la vitesse maximale sur l’autoroute des Laurentides n’est plus de 100 km/h, il faut ralentir.»

Cependant, Mme Ouimet est d’avis que les gens pourraient peut-être approuver une réglementation plus sévère pour contrer la conduite à grande vitesse. Sans aller jusqu’à imposer des sanctions criminelles, des façons de la réduire existent: suspension immédiate du permis, installation d’un limiteur de vitesse. En Europe, des systèmes automatisés de limitation de vitesse sont installés dans certains véhicules lourds.

Même si la SAAQ organise des campagnes publicitaires vigoureuses contre les dangers de la vitesse, les indicateurs des voitures affichent presque tous 160 ou 200 km/h. Pourtant, il n’y a aucun endroit au Québec où ces vitesses sont autorisées. «Connaissez-vous un autre produit qu’on peut acheter dont l’utilisation à son plein potentiel est illégale? Quel autre produit provoque des centaines de victimes chaque année et mobilise des milliers de policiers?» s’interroge la chercheuse.

Postdoctorat aux NIH

Ce paradoxe n’est pas propre au Québec. D’ailleurs, tout le champ de la sécurité routière est en pleine effervescence aux États-Unis, en Europe et en Australie. Les spécialistes de la psychologie propre à la conduite automobile sont toutefois très rares, mais l’UdeM peut se targuer d’en avoir produit plusieurs, par l’intermédiaire du laboratoire de simulation de conduite de Jacques Bergeron.

Marie Claude Ouimet s’apprête d’ailleurs à entreprendre un postdoctorat dans un centre réputé des National Institutes of Health, à Bethesda, près de Washington. Elle va se joindre à l’équipe du professeur Bruce Simons-Morton, qui travaille à la prévention des problèmes de santé chez les enfants et les adolescents. Il mène des travaux de recherche uniques au monde auprès des jeunes conducteurs.

Mathieu-Robert Sauvé 



 
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