Édition du 17 janvier 2005 / volume 39, numéro 17
 
  capsule science
Donne-t-on trop d’argent pour la reconstruction en Asie du Sud-Est?

Le 4 janvier dernier, Médecins sans frontières (MSF) déclarait avoir reçu suffisamment d’argent pour mener à bien ses actions d’urgence auprès des victimes des tsunamis survenus le 26 décembre en Asie du Sud-Est. Après avoir engrangé quelque 65 M$, l’organisme appelait ses donateurs à suspendre leurs dons. «Cela peut paraître complètement à contre-courant de l’atmosphère de mobilisation générale, mais c’est une question d’honnêteté: nous ne voulons pas continuer à solliciter le public pour des opérations qui sont déjà financées», explique le directeur général, Pierre Salignon, sur le site de MSF.

Le gouvernement du Québec a pour sa part limité sa contribution à 100 000 $ (contre 425 M$ sur cinq ans pour le gouvernement canadien), un montant que le premier ministre Jean Charest a justifié du mieux qu’il a pu au cours des dernières semaines.

Donne-t-on trop d’argent aux organismes communautaires présents dans les pays touchés par la catastrophe? Non, répond sans hésiter le géographe Rodolphe de Koninck, professeur au Département de géographie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études asiatiques. «Mais c’est une autre question de savoir si l’argent est acheminé aux bons endroits.»

Dans les années 70, le chercheur a plusieurs fois séjourné dans la province d’Aceh, la région de loin la plus touchée de l’Indonésie, un pays qui compte 104 000 morts et où l’on craint des épidémies encore plus meurtrières. «Je reconnais l’honnêteté de MSF, qui a eu le courage d’annoncer que ses coffres étaient assez bien garnis pour concrétiser ses objectifs. Sur le plan médiatique, toutefois, cela envoie un message ambigu. On laisse entendre que les besoins sont comblés. C’est loin d’être le cas. Sur le terrain, on doit de toute urgence assurer des mesures d’hygiène et d’approvisionnement adéquates, sans parler de la reconstruction.»

Cela dit, le géographe est très critique quant à la prétendue générosité de l’Occident à l’égard des victimes des tsunamis. «La guerre en Irak a coûté 110 G$ US en 2003 aux États-Unis, plus 9 G$ aux Anglais. En 2004, c’était encore plus. Cela représente plus de 10 G$ par mois pour faire la guerre. Qu’on ne vienne pas me dire que les pays riches déploient un effort humanitaire démesuré. Les 10 à 20 G$ que coûtera la reconstruction des régions sinistrées sur plusieurs années, c’est une goutte dans l’océan.»

Cette générosité, mentionne M. de Koninck, sert d’ailleurs d’abord et avant tout les intérêts des coopérants des pays donateurs. «Quand le Canada confie des millions supplémentaires à l’Agence canadienne de développement international, ce sont surtout des Canadiens, au Canada et à l’étranger, qui sont payés. Même chose aux États-Unis. À mon avis, ce sont les Français qui ont la meilleure approche en matière de développement international. Leurs politiques prévoient des sommes substantielles en assistance médicale d’urgence et en investissements dans les systèmes de santé et les infrastructures.»

Les généreux donateurs peuvent aussi profiter de la situation pour se façonner une bonne image sur la scène internationale: ils annoncent des dons qui ne se concrétisent jamais en argent sonnant. Par exemple, après le séisme de Bam qui a tué 26 000 personnes en Iran il y a un an, seuls 13 des 750 M$ promis ont été effectivement versés, selon les autorités iraniennes.

La Presse canadienne rapportait, le 7 janvier, l’appel du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, à la communauté internationale pour qu’elle traduise ses promesses – près de 4 G$ en tout – en actes. Pour Rodolphe de Koninck, il faut éviter que le Fonds monétaire international (FMI) intervienne, car cet organisme impose des conditions d’utilisation des prêts visant à favoriser la mainmise des entreprises étrangères sur les économies des pays bénéficiaires. De plus, le FMI exige la réduction des dépenses sociales de l’État, façon américaine de voir le monde.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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