Édition du 24 janvier 2005 / volume 39, numéro 18
 
  Bioterrorisme: il faut préparer les omnipraticiens
Le Dr Karl Weiss donne une formation aux médecins

Le Dr Karl Weiss estime que les omnipraticiens doivent être prêts à aider au dépistage d’actes de bioterrorisme.

En plein mois de février, des patients se succèdent à votre clinique avec plus ou moins les mêmes symptômes: fièvre, fatigue, maux de dos… Pas de surprise, c’est la saison de la grippe. Mais attention! Les symptômes de la grippe s’apparentent singulièrement aux premiers signes de certaines infections comme la variole.

Certes, cette terrible maladie a été officiellement rayée de la carte en 1979. Seuls les laboratoires du Center for Disease Control, à Atlanta, et ceux de Novossibirsk, en Russie, sont censés avoir conservé des stocks du virus, qu’ils gardent sous haute surveillance. Néanmoins, plusieurs gouvernements estiment que le virus existe toujours dans d’autres laboratoires et, surtout, qu’il pourrait être remis en circulation dans un acte de bioterrorisme.

Au Canada, les probabilités d’une attaque bioterroriste sont faibles, mais elles ne sont pas nulles. Selon le Dr Karl Weiss, microbiologiste-infectiologue à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont et professeur agrégé de clinique à l’UdeM, il importe de sensibiliser les omnipraticiens à cette éventualité. «Il est vrai que, dans le cas d’une attaque, les médecins généralistes n’auraient probablement pas à traiter les victimes, dit-il. Mais les omnipraticiens ont tout de même un rôle clé à jouer. Ils doivent être prêts à servir de sentinelles pour aider à dépister rapidement les actes de bioterrorisme insoupçonnés.»

Attaque sournoise

Contrairement aux armes chimiques, qui agissent rapidement sur un nombre restreint d’individus, les armes biologiques sont beaucoup plus sournoises. «Dans l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995, 10 personnes ont été tuées et 5000 ont été blessées quasi instantanément, rappelle le Dr Weiss. Avec une bactérie ou un virus, les choses se passent différemment. Entre le moment où l’individu est infecté et celui où il éprouve les premiers symptômes, il s’écoule plusieurs jours. Par exemple, la maladie du charbon (anthrax) prend de deux à trois jours pour se manifester; la variole, une dizaine de jours.»

Selon le Dr Weiss, on pourrait envisager un attentat-suicide où un terroriste s’infecterait volontairement avec le virus de la variole pour ensuite aller se balader dans un endroit public. Extrêmement contagieux, le virus pourrait contaminer plusieurs personnes. Celles-ci se trouveraient un peu partout dans la région métropolitaine, possiblement très loin du point d’origine de la contamination, au moment où la fièvre se ferait sentir. «Pour cette raison, les médecins de première ligne doivent être plus vigilants, souligne le microbiologiste. En effet, quand une dizaine de patients se présentent dans une clinique avec des symptômes hors du commun, il est plus aisé de constater que quelque chose ne tourne pas rond que lorsqu’on a affaire à un cas isolé.»

Ainsi, les omnipraticiens doivent être attentifs aux signes cliniques qui sortent de l’ordinaire. Dans le cas de la variole par exemple, quelques jours après la fièvre, des lésions cutanées assez particulières apparaissent.

La phase préliminaire d’une contamination au bacille du charbon peut aussi être confondue avec la grippe. Un clinicien averti sait toutefois que la congestion nasale est rare dans le cas d’une contamination à ce bacille alors qu’elle est plus fréquente dans le cas de la grippe. Par opposition, les douleurs thoraciques sont très courantes chez les patients contaminés au bacille du charbon mais rares chez les personnes grippées.

Envisager l’improbable

Une analyse de laboratoire peut réserver des surprises.

Plus une attaque bioterroriste sera repérée rapidement, plus les mesures d’urgence pourront être mises en place promptement pour limiter la propagation de l’agent infectieux. Si leur suspicion clinique le justifie, les omnipraticiens devraient communiquer avec les hôpitaux qui, à leur tour, pourront confirmer le diagnostic et, éventuellement, avertir les autorités pour activer le plan d’urgence national. «Bien sûr, il n’est pas question de tomber dans la paranoïa et de faire passer des tests inutilement, précise le Dr Weiss. On fait confiance au jugement des médecins généralistes.»

L’automne dernier, le Dr Weiss s’est adressé à une centaine d’omnipraticiens pour les sensibiliser à l’importance de leur rôle à titre d’agents de détection primaire du réseau de surveillance. «Les médecins généralistes sont beaucoup plus sensibilisés qu’il y a trois ans aux caractéristiques des agents biologiques qui pourraient être utilisés dans des attaques bioterroristes, le bacille du charbon et le virus de la variole principalement. Bien sûr, nous n’avons pas au Canada de plan d’urgence aussi sophistiqué qu’aux États-Unis. En l’espace de quelques heures, les Américains peuvent monter un hôpital militaire de 1200 lits et mobiliser 20 000 personnes. Chez nous, ce serait impensable.»

Selon le microbiologiste, le Canada pourrait certainement être mieux préparé au bioterrorisme, mais tout est une question de coût-avantage. «Si l’on investit de ce côté, on devra couper ailleurs, fait-il remarquer. Et les risques d’une attaque bioterroriste au Canada sont relativement faibles, ce qui rend les investissements difficiles à justifier. Cependant, la sensibilisation des omnipraticiens ne coûte pour ainsi dire rien et peut nous aider à mieux nous préparer.»

Dominique Forget
Collaboration spéciale



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement