Édition du 24 janvier 2005 / volume 39, numéro 18
 
  Les punks sont l’objet de préjugés tenaces
«Il y a des punks qui dorment dans les parcs, d’autres qui habitent chez leurs parents», fait remarquer Martin Lussier, étudiant et punk

Non, les punks ne sont pas des monstres!

Martin Lussier n’a pas de pics dans les cheveux ni de mèches colorées. Aucun tatouage en vue. Alors, au moins un perçage? «Non, vraiment pas!» s’amuse l’étudiant de troisième cycle en palpant son teeshirt noir. Ainsi donc, l’ex-batteur des Marmottes aplaties ne correspond pas à l’image stéréotypée qu’on se fait des punks. Devenu étudiant au doctorat au Département de communication de la Faculté des arts et des sciences, Martin Lussier explore son milieu d’origine dans son mémoire de maitrise sur les punks de Montréal.

Les premiers punks sont apparus à Montréal dans des salles de concert en 1978. Ils sont les héritiers du mouvement britannique issu de la classe ouvrière une décennie plus tôt, mais l’étudiant estime que les origines du mouvement pourraient remonter aux années 60. Les punks contestent le pouvoir, l’autorité, l’argent et la société de consommation. Plusieurs prônent l’autogestion et se réclament du slogan Do it yourself («Fais-le toi-même»). Encore aujourd’hui, ce sont des anarchistes pacifistes qui rejettent la violence et s’opposent aux valeurs nazies de certains skinheads. Nombre d’entre eux affichent un style reconnaissable: cheveux de couleur, perçages, bottes Doc Martens et pantalon de style militaire.

Pourquoi s’obstiner à tracer un portrait des punks quand on ne fait que reproduire les préjugés? demande Martin Lussier.

Toutefois, Martin Lussier s’inscrit en faux contre toute tentative de définition du mouvement. «Pourquoi s’obstiner à tracer un portrait des punks quand on ne fait que reproduire des stéréotypes? demande-t-il. Il y en a, oui, qui prêchent l’anarchie, mais il y en a aussi qui n’ont pas d’opinion sur le sujet ou qui ignorent même la définition du mot “anarchie”… Même chose pour l’allure punk: tous ne l’adoptent pas.»

Plusieurs, âgés de 18 à 21 ans, nettoient pour quelques pièces le pare-brise de votre voiture et trouvent dans cette activité un travail correspondant à leur quête d’indépendance. Ces laveurs de vitres d’automobiles partagent souvent la vie des jeunes de la rue. Encore là, Martin Lussier refuse d’associer le mouvement punk aux squeegees, même s’il reconnait cette réalité. «Dans mon mémoire, je me suis plutôt attardé à la façon dont on a essayé d’instaurer une frontière permettant de délimiter ce qu’est le punk et la façon dont cette “réalité” nous apparait.»

Si de visu le chercheur constate que la plupart des punks ont moins de 35 ans et qu’ils forment un groupe marginal dans la société, aucun chiffre ni aucune étude ne donnent de définition précise de cette population bigarrée. «Certains punks dorment dans les parcs, d’autres habitent chez leurs parents, d’autres encore ont même une mallette et le travail qui va avec», raconte le chercheur.

Lieux communs

Cependant, à Montréal, certains lieux et des organisations les rassemblent ou, du moins, les visent plus particulièrement: des salles de concert, des compagnies de disques, des réseaux informels de spectacles, des médias. Au cœur de ces regroupements se trouve une musique délibérément provocatrice et des concerts qui défient les règles établies: «Parfois, les musiciens ne sont pas très bons, ils crient plus qu’ils ne chantent, explique Martin Lussier, qui se classe lui-même parmi les plus mauvais. Par ailleurs, d’autres musiciens punks sont de fantastiques virtuoses de leur instrument: il y a des batteurs spectaculaires, des guitaristes surprenants, des chanteurs extrêmement talentueux. Il y en avait aussi des pires que moi…»

Afin de mieux connaitre les acteurs de la scène punk, Martin Lussier «a troqué ses baguettes contre un stylo, un carnet de notes et un magnétophone», comme il dit. «Cette démarche ethnographique n’a pas seulement montré comment sont définis les membres de la communauté mais plutôt qui les installe dans le tissu social et quel réseau y est engagé», remarque Line Grenier, directrice de recherche de M. Lussier et professeure au Département de communication. Sur le terrain, l’universitaire s’est d’ailleurs vu confronté aux effets de sa propre production puisqu’en tant qu’artiste il a contribué à construire l’image des punks à Montréal.

Les punks eux-mêmes ne se reconnaissent pas dans les définitions à leur sujet et s’interrogent sans cesse sur ce qu’ils sont vraiment. Mais le chercheur a quand même voulu obtenir une réponse à cette question existentielle. Le groupe londonien fondateur du mouvement, les Sex Pistols, fait, chose rare, l’unanimité. Pour le reste, pas de consensus. Sans se décourager, le chercheur a étudié les autres joueurs concernés. Parmi les nombreux sites Internet consacrés aux concerts punks, les salles, les animateurs de radio et les adeptes, un média a retenu son attention: le fanzine Rien à déclarer.

Les fanzines sont des magazines artisanaux nés pour la plupart dans l’esprit d’élèves engagés de l’école secondaire. Leurs feuilles photocopiées et agrafées sont une mine de renseignements sur et pour le milieu. Rien à déclarer, créé en 1997, est l’un des plus connus au point qu’il est aujourd’hui doté d’un site Internet de référence pour qui veut tout connaitre de la scène punk. «Par ses éditoriaux, les groupes dont il choisit de parler ou les publicités de boutiques ou d’organismes qu’il accepte de publier, ce fanzine concourt tant bien que mal à installer la communauté», note M. Lussier.

Gestes violents

En 1996, deux punks arrêtés par la police boulevard Saint-Laurent ont déclenché une émeute et saccagé des commerces. Ce débordement médiatique du milieu jusque-là plutôt cantonné aux salles de concert a incité la municipalité à offrir aux punks un centre communautaire en plein centre-ville, l’X, rue Sainte-Catherine, aujourd’hui fermé. Le chercheur s’est donc intéressé à l’endroit qui a pris la relève des célèbres Foufounes électriques, investies par les groupes punks jusque vers la fin des années 90, une salle qui existe toujours.

Voué à la musique punk, le centre offrait en parallèle toutes sortes de services annexes. «Des ateliers de massothérapie ou de sérigraphie à l’épicerie collective, il aidait la municipalité à gérer la conduite des punks, et il est devenu également un lieu d’affirmation», observe le chercheur. D’autres partenaires comme la coopérative de travail du café Chaos, dans le quartier latin, ou la Société pour la promotion de la relève musicale de l’espace francophone sont des réseaux peu connus mais actifs dans le milieu, selon Martin Lussier.

Ainsi, malgré la célèbre devise de ses débuts No future, le mouvement est toujours bien vivant presque 30 ans plus tard. À Montréal, tous les soirs, un bar ou une salle présente un concert… «où il est vrai que parfois le nombre de musiciens dépasse le nombre de spectateurs», indique le chercheur.

L’étudiant a décidé de poursuivre sa quête en s’intéressant à l’ensemble des «musiques émergentes», qui caractérisent les punks également.

Isabelle Masingue
Collaboration spéciale



 
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