Édition du 24 janvier 2005 / volume 39, numéro 18
 
  Les vers de terre servent à étudier la pollution
Le chimiste Sébastien Sauvé recourt à des vers de terre pour déterminer le niveau de mercure dans les sols

Sébastien Sauvé utilise fréquemment l’autotitrateur, utile pour procéder à des titrages chimiques, c’est-à-dire à une forme de dosage de différentes substances.

Quand Sébastien Sauvé, spécialiste de l’analyse des sols contaminés, a cherché un organisme vivant capable de témoigner de la toxicité du mercure dans le système immunitaire, son regard s’est vite tourné du côté du… ver de terre. «Comme ils sont exposés vivants aux contaminants, les vers de terre sont bien placés pour nous révéler de l’information sur la qualité des sols», explique le jeune professeur du Département de chimie.

Aussi bizarre que cela puisse sembler, l’être humain partage au moins une chose avec le système immunitaire du ver de terre: la phagocytose, soit la faculté des cellules d’attaquer et d’éliminer les particules étrangères qui essaient d’envahir le corps. «Les organismes complexes possèdent plusieurs mécanismes de défense dans leur système immunitaire. Mais à la base, les macrophages chargés de repousser les corps étrangers sont les mêmes chez les vers et chez les humains. On peut donc se pencher sur les mécanismes en œuvre chez les invertébrés pour comprendre les organismes plus complexes.»

Au cours d’une expérience dont les résultats sont parus dans la revue Ecotoxicology and Environmental Safety, le chercheur a soumis des vers d’âges variés à différentes concentrations de mercure. Résultat: les jeunes vers de terre sont trois fois plus sensibles au mercure que les vers adultes. Leurs mécanismes de défense sont donc moins puissants.

Le chercheur précise qu’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives en passant trop directement du ver de terre à l’être humain. Mais l’invertébré s’est avéré un excellent collaborateur de laboratoire pour l’avancement des connaissances. Bien que marginale, la recherche avec cet animal a démontré qu’on pouvait se fier à ses qualités de biomarqueur. Selon des recherches antérieures, l’ADN du ver de terre peut être affecté par les métaux lourds et les organochlorés. Conséquemment, la stabilité des membranes lysosomiales, l’activité de l’estérase et la réponse immunitaire du ver peuvent en souffrir.

C’est ce dernier aspect que le chercheur a voulu explorer. «De nos jours, il ne suffit plus de déterminer la dose létale d’un produit toxique. Il faut une approche plus fine afin d’établir les effets d’une exposition à long terme.»

Une expérience particulière

Consommant de façon quotidienne jusqu’à un tiers de leur poids, les vers de terre se nourrissent de racines, de feuilles en décomposition et d’organismes vivants tels que nématodes, protozoaires, rotifères, bactéries et champignons. Ils mangent aussi les restes en décomposition d’animaux.

Pour ses recherches, le professeur Sauvé a utilisé le ver Eisenia andrei. Facile à trouver sur le marché, il est appelé communément «ver à compost» parce qu’on l’introduit dans le composteur pour décomposer des déchets domestiques. Ce petit ver croît facilement à la température de la pièce, contrairement au lombric commun, par exemple, qui évolue dans un milieu frais. On peut donc suivre son évolution dans des bacs remplis d’un peu de tourbe-mousse et d’eau.

La méthodologie employée par le chimiste et ses collaborateurs est assez inusitée. L’objectif était de soumettre quatre groupes de vers de divers âges à une exposition au mercure sur une période de cinq jours. L’activité des macrophages a été étudiée à l’aide de billes de latex enduites de mercure et mesurant 1,7 micron. En observant le parcours de ces billes fluorescentes, les chercheurs ont pu suivre avec précision l’activité des macrophages. Pour être plus complète, l’expérience comprenait un volet fondamental où les effets de l’exposition au mercure ont été analysés, in vitro, à l’échelon cellulaire.

«Nos travaux montrent que nous abordons différemment la toxicité des contaminants», nuance-t-il. Mais ces études sont plus complexes et l’on n’a pas fait le tour des limites du système immunitaire.

Des vers immigrants

Selon Sébastien Sauvé, les émissions de mercure ont beaucoup diminué depuis 20 ans. Les cas d’empoisonnement au méthylmercure ont contribué à l’adoption de mesures radicales pour limiter cette forme de pollution. «Rassurez-vous, les vers de terre ne sont pas en voie d’extinction, loin de là, affirme le chercheur en souriant. Mais à certains endroits où les sols sont saturés de pesticides, en milieu agricole notamment, on pourrait s’inquiéter de leur disparition. L’utilité de ces invertébrés dans le drainage des terres et la croissance des végétaux est indiscutable.»

Mathieu-Robert Sauvé

Du mercure dans les carrés de sable!

L’automne dernier, un étudiant au baccalauréat en chimie, Paul Fayad, sous la direction de Sébastien Sauvé et avec la collaboration de Marc Amyot, a publié les résultats d’une recherche sur le mercure dans les carrés de sable à Montréal. À la suite d’un échantillonnage, il a analysé la quantité de mercure dans les parcs de 20 quartiers montréalais où l’on trouve des carrés de sable. «Le sable dans les parcs de Montréal présente de petites quantités de mercure, a écrit l’auteur dans le Journal of Environmental Monitoring. Nos calculs montrent que le sable ingéré par les enfants (de 200 à 1750 mg) n’excède pas les normes de Santé Canada.»

Les mesures sont basées sur la fraction du mercure qui adhère à la peau ou reste sous les ongles des enfants. «Il ne faut pas alerter la population, car il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Mais le mercure est bien présent dans les terrains de jeu», indique Sébastien Sauvé.

L’un des objectifs de l’étude était de déterminer si les parcs situés près des zones industrielles étaient plus contaminés que les autres. Cette hypothèse n’a pas été confirmée, mais on a trouvé une grande variation dans les concentrations de mercure. Le parc le moins «pollué»: le parc Crevier, dans l’ouest de l’île, avait une concentration de mercure de 1,6 µg/kg. Et c’est dans le parc Jean-Brillant, à deux pas de l’Université, qu’on a découvert la plus forte concentration de mercure: 34,9 µg/kg.

M.-R.S.



 
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