Édition du 7 février 2005 / volume 39, numéro 20
 
  La maladie de Parkinson aurait couté la guerre à Hitler
Un neuropsychologue féru d’histoire défend une thèse étonnante

Jean-François Gagnon

Le 6 juin 1944, les forces alliées débarquent en Normandie et obtiennent une victoire sur le IIIe Reich qui changera le cours de l’histoire. Les soldats ont beau courir par centaines sur les plages de Normandie, le commandant en chef des forces allemandes, Adolf Hitler, persiste à croire que la véritable attaque aura lieu à Calais. «Hitler refuse de tenir compte des informations qui lui parviennent de Normandie, qu’il associe à une simple diversion, explique le neuropsychologue Jean-François Gagnon, de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, reprenant la thèse du neurologue Tom Hutton. Il reste attaché à son idée initiale. Et comme il a concentré tous les pouvoirs décisionnels entre ses mains, aucun général n’ose le défier et contourner son autorité.»

Les blindés allemands, qui auraient pu repousser les alliés, demeurent donc inutilisés à un moment stratégique de la bataille. Quand il faudra contre-attaquer, il sera trop tard. «L’attitude intransigeante d’Hitler durant cette bataille historique est, à mon avis, un symptôme de la maladie de Parkinson, dont il souffrait depuis une douzaine d’années», affirme M. Gagnon.

Pour avoir travaillé auprès de personnes atteintes de maladies dégénératives du système nerveux et rédigé une thèse sur le sommeil des parkinsoniens, Jean-François Gagnon est convaincu que les atteintes cognitives ont influé sur les décisions du dictateur allemand le jour J. Dans sa forme aigüe, la maladie de Parkinson rend le sujet inflexible quand vient le temps de résoudre des problèmes. «C’est l’une de ses manifestations cognitives les plus documentées», précise-t-il.

Découverte en 1817 par James Parkinson, la «paralysie agitante» est un trouble neurologique qui touche les adultes âgés et dont la cause est inconnue. En plus de provoquer un handicap moteur grave, elle se caractérise par quatre principaux symptômes: la rigidité musculaire, le tremblement au repos, le ralentissement des gestes volontaires et les troubles de la posture. On note aussi chez plusieurs patients des difficultés d’élocution et de locomotion ainsi que des atteintes cognitives. «Lorsqu’ils doivent régler un problème, certains sujets demeurent accrochés à une idée qui les entraîne vers une impasse, indique Jean-François Gagnon. On dit qu’ils perdent leur flexibilité mentale.»

Secret bien gardé

 Adolf Hitler

Bien que le führer ait été parmi les personnages publics les plus abondamment filmés de la première moitié du 20e siècle, peu d’images témoignent de la maladie dont il souffrait. Des signes cliniques ont tout de même été notés par un de ses commandants, Heinz Guderian, qui a écrit: «La main gauche d’Hitler tremblait, son dos était courbé et sa posture rigide.» De plus, Hitler était secoué d’un tremblement des membres du côté gauche.

«La propagande allemande a été ici d’une grande efficacité, fait remarquer M. Gagnon, car seule la garde rapprochée d’Hitler semble avoir été au courant de son état. Imaginez la réaction des alliés, et même du peuple allemand, si la chose s’était sue…»

À la suite d’une analyse des images du leader allemand parvenues jusqu’à nous et tournées de 1929 à 1945, le neurologue Abraham Lieberman en est venu à préciser l’apparition des premiers symptômes de la maladie: 1933. Son état de santé serait demeuré stable jusqu’en 1940 mais, dès 1941, les symptômes auraient été trop évidents pour être camouflés. Cela expliquerait pourquoi Adolf Hitler a été si rarement aperçu en public pendant une bonne partie de la Deuxième Guerre mondiale.

Hitler parkinsonien! Ce fait presque totalement ignoré des livres d’histoire ne soulève plus de doutes dans la communauté scientifique depuis les travaux d’Abraham Lieberman. Par la suite, au 13e congrès sur la maladie de Parkinson, à Vancouver en 1999, le neurologue Tom Hutton a fait la démonstration que les atteintes cognitives d’Hitler auraient pu contribuer à la défaite de l’Allemagne lors de la bataille de Normandie.

Mais comment être certain du diagnostic? «Il n’existe qu’une façon sûre de confirmer l’existence de cette maladie: l’examen du cerveau au moment de l’autopsie, déclare Jean-François Gagnon. Cela n’a évidemment pas été possible, le corps du dictateur ayant, selon plusieurs sources, été brulé avant l’arrivée des alliés. On ne sera donc jamais certains à cent pour cent qu’il était parkinsonien. Mais pour n’importe quel neurologue, les symptômes physiques de la maladie sont évidents.»

Parkinson et pouvoir

Si les atteintes neurologiques des personnes atteintes de la maladie de Parkinson peuvent nuire à leur cognition, faudrait-il leur interdire l’exercice du pouvoir? Le pape Jean-Paul II, par exemple, qui souffre de cette affection, est-il en mesure de jouer son rôle de leader spirituel de la communauté catholique?

Le neuropsychologue se fait prudent quant à ces questions. «Une proportion significative de parkinsoniens ne présentent pas de signes cliniques permettant d’affirmer que leurs fonctions cognitives sont altérées, nuance-t-il. La recherche évolue actuellement et l’on pourra peut-être, un jour, voir plus clair dans ce domaine.»

D’ici là, conseille-t-il, il ne faudrait pas se lancer dans une chasse aux sorcières.
En ce qui le concerne, le jeune chercheur a bien l’intention de continuer à associer ses deux passions, la neuropsychologie et l’histoire. Pour effectuer cette recherche sur Hitler parkinsonien, par exemple (dont un texte est paru dans la revue Dire des cycles supérieurs), il a lu tous les livres sur la Deuxième Guerre mondiale. Enfin, presque.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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