Édition du 7 février 2005 / volume 39, numéro 20
 
  Les amygdales cérébrales orientent nos yeux pour décoder les émotions
L’équipe du neurologue américain Antonio Damasio recourt à un outil conçu par Frédérick Gosselin, du Département de psychologie

 Frédérick Gosselin explique le fonctionnement d'un appareil d'oculométrie servant à enregistrer les mouvements des yeux lorsque nous observons une image.

Il était déjà connu que les amygdales cérébrales, deux petits noyaux situés à la base du système limbique, jouent un rôle dans le déclenchement des réactions de peur. Mais on ne savait pas que ces structures neuronales jouaient aussi un rôle de premier plan dans la reconnaissance visuelle de la peur exprimée par le visage.

C’est ce qui vient d’être établi par une recherche internationale dont les résultats ont été publiés dans l’édition du 6 janvier de Nature à partir de l’étude d’un cas très rare de calcification des amygdales. «Le cas étudié est celui d’une dame de 38 ans, Mme M., qui est incapable de reconnaitre les expressions de peur alors qu’elle n’a aucune difficulté à discerner les autres émotions comme la joie, la colère, la tristesse, la surprise et le dégout», explique Frédérick Gosselin, professeur au Département de psychologie et cosignataire de l’article.

L’équipe de chercheurs, composée entre autres du neurologue Antonio Damasio – auteur de L’erreur de Descartes, où il expose le rôle indispensable des émotions dans le processus rationnel –, a utilisé un outil conçu par Frédérick Gosselin pour étudier le cas en question.

Bubbles

Ci-dessus, une expression de peur que Mme M. est incapable de décoder. À droite, l'emplacement des amygdales (en rouge) à la base du système limbique.

L’instrument, baptisé Bubbles, ne laisse voir aléatoirement que certaines portions très réduites de visages tout en tenant compte des diverses fréquences avec lesquelles notre œil perçoit une image. Les traits les plus marqués, comme les contours du visage, relèvent de fréquences de perception basses tandis que les traits plus subtils, comme l’expression des yeux, sont dans les fréquences fines.

Les chercheurs ont soumis la patiente et un groupe témoin à près de 3000 tests portant sur différents visages afin de déterminer quelle partie de la figure nous utilisons pour reconnaitre une émotion. «Dans une telle expérience, il est important de procéder de façon aléatoire pour ne pas orienter la recherche en fonction d’une hypothèse préétablie», souligne Frédérick Gosselin. D’où l’utilité de son outil.

Les sujets témoins ont montré qu’ils n’éprouvaient aucune difficulté à distinguer la peur uniquement à partir de l’expression des yeux, mais pas Mme M. La patiente reconnait toutefois les émotions dont l’expression ne repose pas de façon aussi exclusive sur les yeux. L’expérience a démontré qu’elle était non seulement incapable de décoder l’information révélée par les yeux mais également inapte à regarder cette zone du visage même lorsqu’il s’agissait de la seule zone visible.

Cette incapacité à fixer l’attention sur les yeux a été confirmée par un autre test faisant appel à l’oculométrie, un procédé qui enregistre les mouvements que font nos yeux lorsque nous observons une image. Quel que soit le visage présenté, Mme M. s’est attardée aux yeux dans des proportions de deux à six fois moindres que les sujets témoins. C’est ce qui la rend incapable de reconnaitre la peur alors qu’elle distingue les émotions exprimées par la bouche, les sourcils ou le front.

Les chercheurs ont procédé à une troisième expérience en donnant explicitement comme consigne à Mme M. de regarder les yeux. Au grand étonnement de l’équipe, la capacité de la patiente à reconnaitre la peur a été égale à celle des sujets témoins. Même si en dehors de l’expérience et après cette consigne Mme M. demeurait incapable de procéder spontanément de la sorte, ceci montre que son incapacité à décoder la peur n’est pas due à un problème du système visuel.

Exemples d'images faciales créées par le système Bubbles de Frédérick Gosselin et qui expriment les différentes émotions. Les parties non camouflées sont normalement suffisantes pour décoder l'émotion.

Les amygdales: des centres de relai

«Ce cas nous indique que les amygdales servent à envoyer de l’information au cortex visuel et aussi qu’elles influencent l’information perçue dans les premiers instants où nous observons un visage, affirme Frédérick Gosselin. Elles semblent jouer un rôle dans le mécanisme permettant de résoudre l’ambigüité d’une expression faciale en dirigeant l’attention visuelle sur les yeux afin de reconnaitre l’émotion et c’est ce processus qui est perturbé chez Mme M.»

Les auteurs de l’article de Nature estiment par ailleurs que la consigne donnée à la patiente de regarder les yeux pourrait éventuellement être mise à profit dans des interventions auprès de personnes atteintes d’autisme et de dyslexie.

Fort du succès de son programme Bubbles dans l’analyse du cas de Mme M., Frédérick Gosselin poursuit ses travaux en l’employant dans une étude sur la dyslexie.

Daniel Baril



 
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