Édition du 7 février 2005 / volume 39, numéro 20
 
  Le lion des montagnes court dans nos forêts
L'analyse des poils trouvés a été effectuée au Laboratoire d’écologie moléculaire et d’évolution de l’Université

 Les couguars au Québec

Le ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs du Québec a confirmé le 1er février la présence d’au moins deux couguars (Felis concolor) dans les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Capitale-Nationale. L’analyse des poils trouvés dans la forêt des monts Valin et dans la réserve faunique des Laurentides a été effectuée au Laboratoire d’écologie moléculaire et d’évolution de l’Université par Le Duing Lang sous la direction des biologistes François-Joseph Lapointe et Nathalie Tessier.

«Cela fera taire les sceptiques», mentionne M. Lapointe, pour qui il n’y a plus de doutes possibles sur la survie à nos latitudes du félin surnommé le lion des montagnes. «Depuis quelques années, les signalements de couguars s’étaient multipliés, mais aucun n’avait été scientifiquement établi. C’est chose faite aujourd’hui», dit le professeur du Département de sciences biologiques.

Depuis que son laboratoire a confirmé l’existence d’un couguar au Nouveau-Brunswick l’automne dernier (voir Forum du 18 octobre 2004), les échantillons de poils ont été plus nombreux à finir leur course sous le microscope des chercheurs. «Nous en avons reçu au moins deux fois plus», affirme Mme Lang, qui a mené l’essentiel des opérations de laboratoire et mis au point une technique originale d’identification par séquençage de l’ADN.

Le professeur Lapointe ajoute que l’existence de couguars en Estrie et en Gaspésie est probable, mais l’analyse de l’ADN des poils en provenance de ces régions n’a pas été possible. «Les échantillons étaient soit de mauvaise qualité, soit incomplets. Quoi qu’il en soit, nous avons la preuve que ces animaux vivent dans des régions très éloignées l’une de l’autre.»

Séquençage et taxonomie

Une entreprise de Sherbrooke, Envirotel, a lancé il y a cinq ans un appât olfactif à base d’urine de couguar qui est à l’origine des identifications. Répandu autour de poteaux munis de velcro, non loin des endroits où des témoins ont rapporté avoir vu l’animal, le produit attire les félins, qui y laissent quelques poils. Parcs Canada a placé des dizaines de ces appâts en Gaspésie et en Estrie notamment.

Le couguar, autrefois présent sur le territoire québécois au sud du 52e parallèle, est devenu rarissime dès la seconde moitié du 19e siècle. Depuis 1955, plusieurs centaines de mentions de cet animal ont été portées à l’attention du ministère par des résidants et ont fait l’objet d’enquêtes par le personnel en région: questionnaires soumis aux observateurs, visites sur le terrain, vérifications de pistes, expertises de photos et vidéos. Malgré ce travail, les preuves irréfutables de l’existence du couguar en sol québécois tardaient à venir.

«Notre équipe possède une bonne expertise dans l’analyse de l’ADN pour reconstituer la généalogie d’espèces sauvages, déclare le professeur Lapointe. Nous l’avons fait pour la tortue des bois et la souris sylvestre entre autres. Mais une touffe de poils, ou même un ou deux poils dans certains cas, c’est bien peu pour repérer la séquence génétique propre à une espèce.»

Le travail de Le Duing Lang, entrepris à l’occasion d’un stage d’initiation à la recherche, s’est révélé très efficace. Elle a élaboré, en six mois, une technique d’extraction qui a nécessité plus de 400 analyses. «Il fallait être certain que l’ADN était bien celui d’un couguar et non d’un ours, d’un chevreuil, d’un lynx, voire d’un chat domestique», remarque son professeur. La technique de séquençage permet d’obtenir un résultat digne de foi après deux jours de travail.

La jeune femme envisage de poursuivre des études de maitrise sur un sujet connexe dès l’année prochaine. «C’est très excitant de participer à une telle découverte», avoue-t-elle.

Couguar de l’est?

Inscrit sur la liste des espèces susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables, le couguar est considéré comme un animal à déclaration obligatoire, ce qui signifie qu’une personne qui trouve un couguar blessé ou mort doit communiquer avec le ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs. De ce fait, il est interdit de tuer le félin, sauf s’il représente une menace évidente.

Il constitue en tout cas un mystère taxonomique qui intrigue les chercheurs depuis longtemps. On s’interroge sur le statut de la population qui survit en Amérique du Nord: s’agit-il d’une espèce en soi, le couguar de l’est, ou d’une sous-espèce de la population occidentale? Impossible de le savoir pour l’instant. La sous-espèce qui réside dans l’est du continent, Felis concolor couguar de son nom latin, était devenue si rare que plusieurs la croyait éteinte, exception faite d’une population isolée de Floride.

Selon le communiqué du ministère, d’autres confirmations pourraient survenir à mesure que les échantillons de poils, recueillis depuis plusieurs années dans le cadre de projets ponctuels soutenus par des organisations bénévoles, seront analysés. Une histoire à suivre, donc.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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