Édition du 7 mars 2005 / volume 39, numéro 23
 
  Politique des deux poids, deux mesures
Selon Jean-Sébastien Fallu, la recherche dore la pilule des drogues pharmaceutiques et démonise les drogues récréatives

Aucune évidence scientifique ne montre que le MDMA ou ecstasie est plus toxique que l’alcool, soutient le professeur Jean-Sébastien Fallu, qui a produit un rapport sur le sujet pour le compte du gouvernement suisse.

Le 15 février dernier, les quotidiens rapportaient une étude démontrant les supposées conséquences néfastes et durables sur le fśtus d’une consommation d’ecstasie par la mère. Deux jours plus tard, la Food and Drug Administration des États-Unis statuait que les médecins pouvaient continuer de prescrire les anti-inflammatoires Vioxx et Celebrex, qui seraient responsables de milliers de décès.

Ces nouvelles ont fait sursauter Jean-Sébastien Fallu, professeur à l’École de psychoéducation, qui en a long à dire sur la politique des deux poids, deux mesures appliquée aux drogues pharmaceutiques et aux drogues illicites.

Une recherche postdoctorale qu’il a réalisée au Centre de toxicomanie et santé mentale de l’Université de Toronto l’a amené à produire, en janvier 2004, un rapport sur la consommation et les dangers des drogues de synthèse pour le compte de l’Office fédéral de la santé publique de Suisse. «Même si la prudence est de mise à l’égard de l’ecstasie – soit le MDMA –, il n’existe aucune évidence scientifique montrant que cette molécule est plus toxique que l’alcool. L’alerte est exagérée compte tenu de la réalité», souligne Jean-Sébastien Fallu.

Démonisation

Selon ce qu’il a pu constater, les recherches tendent à démoniser les drogues récréatives et à minimiser les risques des drogues pharmaceutiques. L’étude sur les dangers du MDMA pour le fśtus en est un exemple. Dans cette étude, on a injecté la molécule par intraveineuse à des rates en gestation pendant sept jours consécutifs. «Cela n’a rien à voir avec la consommation récréative, déclare le professeur. L’ecstasie se prend par voie orale et passe ainsi par plusieurs filtres qui sont contournés si l’on injecte la drogue. Dans les cas les plus extrêmes, on ne pourrait en prendre plus de quatre jours d’affilée parce que le consommateur tomberait endormi au bout de trois jours!»

Les études révèlent que le MDMA peut atrophier les terminaisons nerveuses des neurones à sérotonine, mais que cette toxicité se résorbe en un mois. Les conséquences les plus graves, allant de l’anxiété au décès, sont attribuées à la polyconsommation (alcool, cannabis, amphétamines, cocaïne, hallucinogènes), une pratique à laquelle s’adonnerait la majorité des usagers d’ecstasie dans les fêtes techno.

Les résultats d’une autre étude, publiés en septembre 2002 dans Science, font fulminer le professeur. Le neurologue américain George Ricaurte a affirmé qu’une dose de MDMA comparable à celles consommées à des fins récréatives entrainait de graves dommages neurologiques chez les chimpanzés. Encore ici, rien de comparable avec la réalité: on a injecté aux animaux trois doses de MDMA en l’espace de trois heures.

L’étude signale même que, dans un premier groupe, trois des cinq chimpanzés sont décédés; l’expérience a été interrompue après l’injection de deux doses dans le second groupe parce qu’on anticipait le même taux de mortalité. Selon les données de Jean-Sébastien Fallu, de 20 à 40 % de la clientèle des soirées techno consomment de l’ecstasie. «Si, comme l’a prétendu George Ricaurte, son expérience pouvait se comparer à une consommation récréative, on se retrouverait avec plus de 50 % de décès parmi les consommateurs après une danse techno», signale le professeur.

Un tel biais dans une étude publiée par une revue aussi prestigieuse que Science a suscité tout un remous dans les milieux scientifiques et George Ricaurte a dû refaire ses devoirs. Dans une rétractation parue un an plus tard, il dit avoir découvert l’erreur: ce n’est pas du MDMA qui a été administré aux chimpanzés mais des amphétamines!

Protocole accéléré

«Dans le cas des drogues illégales, les protocoles sont faits pour prouver qu’elles sont néfastes alors qu’en ce qui concerne les drogues légales on fait tout pour dorer la pilule: on raccourcit les délais du protocole et l’on tait parfois des évidences de toxicité, observe le professeur Fallu. On procède rapidement parce que chaque jour de délai pour une recherche sur un médicament coute en moyenne 1,3 M$.»

Les anti-inflammatoires Vioxx et Celebrex sont à ses yeux des exemples de cas où l’on a procédé trop rapidement. Le lobby pharmaceutique est si puissant qu’il imprime sa marque dans les milieux de la recherche. En appui à ses dires, Jean-Sébastien Fallu cite une étude effectuée en 1996 qui montre que 98 % des recherches financées par l’industrie pharmaceutique sur une période de 20 ans se terminaient par une conclusion propice à la molécule étudiée; cette proportion tombe à 79 % pour les recherches non subventionnées par l’industrie. Selon le professeur, la différence est due à la volonté des
entreprises d’aboutir à des conclusions favorables.

Les éditeurs de revues savantes ne sont pas dupes. «Au cours d’un congrès tenu en 2001, les 11 publications les plus prestigieuses dans le monde ont convenu qu’elles refuseraient dorénavant de publier les recherches dont les contrats comprennent une clause empêchant les chercheurs de divulguer toutes les données de leurs études», indique M. Fallu.

La droite moraliste

Le lobby pharmaceutique marche également main dans la main avec le pouvoir politique. «Ils sont comme cul et chemise, remarque le professeur. Près de 85 % des recherches en toxicomanie sont menées aux États-Unis, où la droite cherche à prouver que les drogues récréatives sont mauvaises. On les démonise par idéologie et l’on amplifie des conclusions dramatiques non fondées.»

D’ailleurs, ajoute-t-il, la classification des drogues, entre légales et illégales, ne repose pas sur des critères scientifiques, mais sur des critères culturels et politiques.

Malgré la dénonciation de ces biais et abus, Jean-Sébastien Fallu ne prône pas pour autant le laisser-faire vis-à-vis des drogues de synthèse. 

La dépénalisation fait partie des conclusions de son rapport, mais cette mesure doit être accompagnée de programmes de réduction des conséquences négatives, presque toujours évitables. «La question est de savoir ce que nous voulons au juste prévenir», conclut-il.

Le professeur Fallu est par ailleurs le président fondateur de Grip Montréal, un organisme communautaire qui a pour objectif la prévention en toxicomanie, et plus particulièrement la prévention à l’égard des drogues de synthèse dans les milieux techno. Cette initiative lui avait valu un prix de Forces Avenir en 2002.

Daniel Baril



 
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