Édition du 14 mars 2005 / volume 39, numéro 24
 
  L’art est au service de la politique
À toutes les époques, l'art sert la raison d'État, selon Todd Porterfield

Todd Porterfield s’est penché sur le tableau Le sacre de Napoléon 1er, du peintre Jacques Louis David. Il a également examiné une publicité d’Adidas reprenant ce tableau.

On aime penser que l’artiste agit pour le seul plaisir de la création libre. Mais on oublie que cette perception du travail de l’artiste est elle-même le fruit d’un contexte social et politique.

«Les conditions de l’art moderne sont des produits de l’après-Révolution française, indique Todd Porterfield. Elles sont l’héritage de la crise du mécénat, de la croissance du marché et de la liberté d’expression.»

Professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, Todd Porterfield ne voit pas l’art uniquement comme le reflet d’une époque, mais davantage comme un instrument au service de la diffusion d’une idéologie politique.

«La culture existe pour manipuler la population», affirme-t-il.

Possédant une double formation en science politique et en histoire de l’art, auteur d’une analyse jugée provocatrice sur l’art au service de l’impérialisme français au début du 19e siècle1, le professeur Porterfield a obtenu une chaire de recherche du Canada pour poursuivre ses travaux sur le rapport entre l’art et la société.

Révolution et contrerévolution

«J’ai choisi la France pour étudier la question parce que la France d’avant la Révolution avait déjà une théorie sur l’art au service de l’État, précise Todd Porterfield. Le roi voulait mettre les artistes au service du palais de Versailles et casser les guildes.» La Révolution n’a pas nécessairement affranchi l’art de sa tutelle politique ni élargit l’indépendance des artistes.

«Au cours de la période qui a suivi le Siècle des Lumières, les rencontres dans les salons permettaient les échanges d’idées et les contestations ont amené l’émergence de la nation. Dans ce contexte, les gens avaient un pouvoir de décision éthique, soutient l’historien de l’art. Par la suite, l’art révolutionnaire est venu dire quelles étaient les valeurs sures et il l’a fait dans la même optique que sous l’Ancien Régime. Puis le régime de Napoléon a supprimé les libertés des artistes et a réintroduit la religion dans la peinture. Vis-à-vis de l’art, les gens sont devenus spectateurs et consommateurs.»

L’un des artistes qui illustrent le mieux cette époque charnière est le peintre Jacques Louis David. Admirateur de Robespierre, il a notamment exalté le sacrifice des révolutionnaires dans le célèbre tableau Marat assassiné, après avoir été organisateur de manifestations politiques et révolutionnaires. Devenu par la suite partisan de Napoléon (il vaut toujours mieux être du bon côté!), il a glorifié ce règne avec des fresques comme Le sacre de Napoléon Ier, où l’empereur couronne Joséphine.

Todd Porterfield s’est tout particulièrement intéressé au rôle de l’art en France.

«Le rôle de David à l’égard de Napoléon était comme celui de Michel-Ange à l’égard du pape et l’on retrouve la même utilisation des artistes dans la cérémonie d’investiture de Bush», fait remarquer Todd Porterfield. Et comme il n’y a rien de nouveau sous le soleil, ce même tableau de David a été repris dans une publicité d’Adidas pour vendre des espadrilles au «citoyen» spectateur-consommateur.

Une autre œuvre significative a capté l’attention du chercheur: L’Égypte sauvée par Joseph, d’Alexandre-Denis Abel de Pujol, peinte sur le plafond de la salle égyptienne du musée du Louvre. Le professeur en a tiré la pochette de son livre, qui est le produit de son doctorat. Sur cette vaste peinture murale, l’Égypte est personnifiée par une femme qui se jette dans les bras de Joseph rendu sous les traits d’un Européen!

Todd Porterfield y voit la préfiguration de la civilisation blanche et chrétienne et surtout la représentation de la supériorité de la France sur l’Égypte à l’époque de l’aventure colonialiste française au pays du Nil, en 1798. Dans cette même foulée «impérialiste artistique», le roi Louis-Philippe a choisi d’aménager, dans les années 1830, la place de la Concorde (ancienne place où la guillotine trancha quelques têtes) avec un monument qui ne représente «aucun évènement politique»: un obélisque égyptien!

«Mais cet obélisque est l’expression de la gloire passée que s’approprie la France. C’est un trophée de conquête impérialiste.»

Toute cette période est traversée par un courant orientaliste, notamment représenté par  Delacroix, courant qui aurait contribué à l’«invention culturelle» de la distinction entre Occident et Orient, elle-même à l’origine de l’idée de civilisation et de progrès.

Cette utilisation de l’art à des fins politiques n’a pas disparu avec l’art contemporain. «Au début des années 60, l’art abstrait a servi la guerre froide. On y avait recours pour illustrer la liberté occidentale par opposition à l’oppression soviétique», souligne le professeur.

La situation en Angleterre

Dans le cadre des travaux de sa chaire en histoire de l’art du 19e siècle, le professeur poursuivra ses recherches sur les fonctions sociales et politiques de l’art autour de ces trois thèmes que sont la resacralisation de l’autoritarisme politique dans la période moderne, l’impérialisme et l’orientalisme du 19e siècle et le discours sur la civilisation.

Cette fois, il s’intéressera entre autres au rôle de l’art dans la campagne militaire britannique contre la France en Égypte et étudiera, en collaboration avec le Louvre, les peintures de Théodore Chassériau, un peintre dans la tradition de Delacroix. Le professeur Porterfield étendra également ses travaux aux mouvements comme le primitivisme et le dadaïsme, toujours dans l’optique où l’art est à la fois un agent et un complément de la civilisation.

Daniel Baril

1. The Allure of Empire: Art in the Service of French Imperialism, 1798-1896, Princeton University Press, 1998.



 
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