Édition du 21 mars 2005 / volume 39, numéro 25
 
  L’orthographe rectifiée: ce n’est qu’une question de temps
Aurel Ramat, auteur du Ramat de la typographie, défend avec passion la réforme de l’orthographe

«On peut ne pas l’aimer, mais on ne peut pas l’ignorer. Ce n’est qu’une question de temps pour qu’elle passe dans l’usage.» C’est là l’avis du typographe et correcteur d’épreuves Aurel Ramat sur la réforme de l’orthographe française recommandée par les autorités compétentes de la France, du Québec, de la Suisse et de la Belgique.

Bien connu dans le milieu de l’édition pour son guide Le Ramat de la typographie, un ouvrage unique et indispensable pour quiconque veut faire de l’édition soignée, Aurel Ramat s’adressait, le 11 mars dernier, aux étudiants des certificats en journalisme et en rédaction qui, quatre fois par année, organisent des débats sur des thèmes d’intérêt commun.

Étaient également invités à ce débat Karine Pouliot, conseillère linguistique à la Direction de
la qualité de la communication de HEC Montréal, Marielle St-Amour, conseillère linguistique au Centre de communication écrite de l’UdeM, et Daniel Baril, journaliste à Forum.

Une réforme volontaire

Karine Pouliot a d’abord présenté un aperçu des modifications orthographiques dont Forum a déjà fait état dans son numéro du 3 mai 2004 (consultez iForum ou le site <www.orthographe-recommandee.info>). Les principales modifications visent à systématiser certaines règles, comme les traits d’union dans les nombres et le pluriel des mots composés, à éliminer les accents circonflexes sur les i et les u, et à remplacer le redoublement des consonnes des verbes en -eler et -eter par un accent grave sur l’avant-dernier e (il pèle plutôt que il pelle). La tendance est également à la fusion des mots composés.

Selon Marielle St-Amour, «on peut difficilement être contre cette réforme». Elle a néanmoins tenu à exposer les arguments de ceux qui s’y opposent pour les évaluer selon leur bienfondé. Il y a d’abord les considérations du type «touche pas à ma langue»: il a fallu faire des efforts pour apprendre ces règles et les remplacer porte atteinte à la civilisation!

Cette vision des choses est fondée sur l’idée fausse de la permanence de l’orthographe. «On a effectué de nombreuses réformes de l’orthographe, et ce, dès le 18e siècle», a fait valoir Mme St-Amour. Quant au lien étymologique marqué par l’orthographe, il n’a rien de systématique; «l’orthographe reflète plutôt la transformation de la langue», a-t-elle indiqué.

Il y a également ceux qui rejettent les rectifications parce qu’il ne s’agirait que d’une pseudoréforme. La conseillère aurait manifestement préféré une réforme plus en profondeur qui aurait, par exemple, simplifié les règles d’accord du participe passé et éliminé les x des «bijoux», «cailloux» et compagnie. «Le maintien d’exceptions ne facilite pas l’apprentissage», a-t-elle reconnu en citant Josette Rey-Debove, ex-directrice de rédaction du Petit Robert.

À tous ceux qui malgré tout trouveraient la réforme trop fastidieuse, Marielle St-Amour rappelle1 que les deux formes orthographiques sont considérées comme correctes et qu’on peut maintenir l’ancienne orthographe, de la même façon que certaines personnes parlent encore en milles et en degrés Fahrenheit.

Quinze ans, c’est court!

Mais ce laisser-faire ne risque-t-il pas de tuer la réforme? Comment modifier des habitudes si aucune mesure incitative n’est instaurée? «En Allemagne, la réforme de l’orthographe introduite en 1998 a été rendue obligatoire et l’ancienne forme sera tenue pour fautive en septembre prochain, a mentionné Aurel Ramat. Douze millions d’élèves ont maintenant appris la nouvelle orthographe et, des grandes maisons d’édition, une seule n’a pas suivi.»

À son avis, une telle chose était impossible en France: «Comment voulez-vous gouverner un pays qui produit 350 sortes de fromages?» a-t-il lancé à la blague en citant De Gaulle.

L’auteur et correcteur a présenté une défense passionnée de la réforme tout en révélant des talents d’humoriste. La huitième édition de son guide typographique est d’ailleurs égayée, au bas de chaque page, de calembours du genre «Vous me fîtes un gratin de pommes de terre et vous m’épatâtes».

Depuis qu’il a introduit la réforme orthographique dans son ouvrage, il ne reçoit que des félicitations. «J’en suis plus satisfait chaque jour», a-t-il déclaré.

Le fait que la réforme n’est pas mieux implantée après 15 ans ne le décourage pas. «Quinze ans, c’est très court. Il a fallu 231 ans pour que l’Académie française fasse entrer dans son dictionnaire les lettres j et v, une réforme proposée en 1531 par le grammairien Jacques Dubois. C’est en 1835 que l’Académie s’est résolue à modifier les oi en ai là où on les prononçait è depuis plus de 180 ans. Chaque fois qu’une modification a été adoptée, on n’est jamais revenu en arrière. C’est une question de temps pour que celle-ci passe.»

Contrairement à sa collègue Marie-Éva de Villers, pour qui il a beaucoup d’admiration, il ne craint pas que le Québec fasse cavalier seul. D’une part, la Suisse et la Belgique sont en avance et le Dictionnaire Hachette et les ouvrages de référence Duculot ont intégré toutes les rectifications, sans compter le correcteur Antidote et bientôt les produits Microsoft.

«Et si le Québec était le seul, allons-y! a-t-il ajouté. Pourquoi attendre la France, où l’on discute encore des accents sur les majuscules? La féminisation des titres, c’est également ici que ça se passe. En France, on dit “Madame le ministre”!»

Lui aussi aurait sans doute préféré une réforme plus ambitieuse qui aurait éliminé, par exemple, des lettres superflues introduites par les scribes payés au nombre de lettres, mais à son avis il ne faut pas attendre une réforme complète pour adopter les modifications proposées. «Ce serait comme dire au restaurateur: “Vos légumes sont dégoutants mais il n’y en avait pas assez.”»

Le journaliste de Forum a pour sa part présenté le cas de cet hebdomadaire, qui a été l’un des premiers au Québec à opter pour l’orthographe rectifiée. Comme pour le Ramat, la rédaction n’a reçu depuis que des félicitations.

Daniel Baril

1. Voilà un exemple d’exception: le verbe appeler et ses composés maintiennent le redoublement de la consonne!



 
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