Édition du 21 mars 2005 / volume 39, numéro 25
 
  Les vieux Québécois seront-ils en santé?
C’est la perte d’autonomie qui caractérise la personne âgée, souligne Jacques Légaré

Jacques Légaré

Le Québec vieillit. Une meilleure qualité de vie et les progrès médicaux entre autres facteurs concourent à ce phénomène. Dans notre province, 11,2 % de la population a plus de 65 ans. En 2030, c’est le quart des Québécois qui auront atteint 65 ans ou plus. Une personne âgée sur deux aura alors plus de 75 ans.

L’espérance de vie après 65 ans, qui atteignait 15,5 ans pour les hommes et 20,1 ans pour les femmes en 1992-1993, pourrait encore augmenter puisqu’on envisage de plus en plus une hausse de la longévité maximale jusqu’à 120 ans. «Le vieillissement de la population n’est pas qu’un sujet à la mode. Il s’agit d’un phénomène durable qui risque de transformer notre mode de vie», affirme Jacques Légaré, démographe et professeur retraité de l’Université depuis 1997.

À 67 ans, il n’a rien d’un «vieux prof» sombre et distant. Au contraire, c’est un homme dynamique et facile d’accès. Bien qu’il ait tiré sa révérence à l’enseignement, M. Légaré est encore très actif dans le milieu universitaire. Tous les jours, celui qui a été directeur du Département de démographie pendant 16 ans se rend à son bureau sur le flanc du mont Royal et dirige les travaux d’étudiants aux cycles supérieurs. Il vient de publier un chapitre de livre sur les conséquences économiques, sociales et culturelles du vieillissement de la population.

«Même si le vieillissement des populations est de moins en moins considéré comme un phénomène négatif, mais bien comme une conséquence logique d’une des plus grandes avancées du progrès humain, [soit] la maitrise de plus en plus efficace de la mortalité et de la fécondité, il soulève encore beaucoup d’appréhensions, écrit le professeur Légaré. Les sociétés de demain seront certes plus âgées, mais [on peut se demander si elles engendreront] une pandémie de personnes malades ou handicapées. De plus, sommes-nous en mesure de bien évaluer les implications de gestion d’une société vieillissante, selon que la population totale est en croissance ou en décroissance démographique? s’interroge-t-il. Dans cette ère de mondialisation accrue, de telles mutations démographiques, touchant l’ensemble des populations de la planète, quoique à des moments et à des degrés divers, auront certes des répercussions géopolitiques.»

Les ainés d’aujourd’hui s’engagent dans des activités artistiques, font du bénévolat et, s’ils le peuvent, multiplient les voyages.

Vivre vieux: oui, mais en santé

Ce «papyboom», comme plusieurs l’appellent, pose en effet de nombreuses questions, à commencer par la plus élémentaire d’entre elles: qu’est-ce qu’être vieux? «C’est la perte d’autonomie qui caractérise la personne âgée, répond M. Légaré. Vous savez, une personne de 85 ans qui peut se laver, s’habiller, faire ses emplettes et préparer ses repas n’est pas vieille comparativement à une autre de 72 ans qui a besoin d’aide dans ses activités quotidiennes», déclare-t-il.

La très grande majorité des gens de 65 ans et plus vivent sans incapacité sérieuse, rappelle le professeur Légaré. Mais l’espérance de vie accrue ne se traduit pas nécessairement par une amélioration de la qualité de vie, signale le démographe. Un concept qui, selon lui, est très complexe. «L’état de santé des personnes âgées est  beaucoup plus difficile à établir que le fait de constater un décès, dit-il. De plus, il y a lieu de bien distinguer l’état de santé observé de celui perçu. Chez les hommes et les femmes âgés, ce dernier est souvent très différent d’un pays à l’autre pour des raisons culturelles la plupart du temps.»

Malgré tout, grâce aux données des enquêtes sur la santé, les démographes et les épidémiologistes ont crée des indicateurs comme «l’espérance de vie en santé» qui permettent de mieux saisir la réalité. On sait par exemple qu’au cours des 30 dernières années l’espérance de vie sans limitation physique ni intellectuelle s’est peu améliorée. «On a vraisemblablement accompli des progrès contre la mort, mais on constate peu d’évolution par rapport à l’état de santé», indique M. Légaré.

Selon le démographe, le fait que les personnes âgées en santé déclarent majoritairement préférer vivre moins longtemps mais en santé que beaucoup plus longtemps mais handicapées et malades suppose des décisions de société. «Respecter un tel choix quant à la qualité de vie qui transcende l’augmentation appréhendée des couts de la santé implique l’abandon de l’acharnement thérapeutique et la réorientation des priorités de la recherche biomédicale sur les maladies mortelles, tel le cancer, vers les maladies chroniques, telle la maladie d’Alzheimer.»

Le rôle social des ainés gagne en ampleur

Bien loin de l’image de la grand-mère qui prépare ses confitures pendant que son mari lit le journal, une pipe à la main, les ainés aujourd’hui multiplient les activités. Ils sont friands de voyages, s’engagent dans des activités associatives, font du bénévolat, découvrent des biens et des services dont ils ne profitaient pas lorsqu’ils travaillaient. Bref, ils consomment et ont les moyens financiers de le faire: «Le niveau de vie actuel des retraités est souvent équivalent à celui des gens actifs», souligne M. Légaré.

À son avis, la frontière entre personnes actives et personnes retraitées n’est plus pertinente pour distinguer jeunes et vieux. Le troisième âge d’antan est maintenant divisé en un troisième et un quatrième âge. Le premier recouvre une période qui s’étend de la retraite à la vieillesse, avec un rôle social qui gagne en ampleur. «Cette réalité est tellement nouvelle qu’on ne sait même pas comment nommer ceux qui en font partie; le terme “vieillard” n’est plus approprié», estime le démographe.

De nos jours, c’est davantage au cours du quatrième âge qu’un individu risque de devenir dépendant des autres membres de la population, surtout à cause d’une santé défaillante. «Cette nouvelle étape du cycle de vie n’a jamais existé dans aucune civilisation, de sorte que nos sociétés ont tout à inventer pour que ce stade de la vie des gens soit des plus bénéfiques tant pour eux-mêmes que pour la société dans laquelle ils évoluent», observe M. Légaré.

Selon lui, nos sociétés vieillissantes auront davantage besoin de maisons pour personnes âgées que d’hôpitaux, plus axés sur les soins que sur les services. «Les priorités à l’égard de la santé des gens âgés devraient aller plus vers le caring que le curing et le personnel de la santé devra autant apprendre à écouter qu’à guérir», conclut-il. 

Dominique Nancy



 
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