Édition du 28 mars 2005 / volume 39, numéro 26
 
  Qui sont les meurtriers sexuels?
Les violeurs et les meurtriers sexuels diffèrent très peu sur le plan de la personnalité

Jean Proulx

Un homme en colère contre sa femme noie sa rage dans l’alcool. Au restaurant, on refuse de le servir parce qu’il est ivre. Il kidnappe la serveuse, l’entraine dans son camion, la viole et la poignarde.

«C’est la situation type du meurtre sexuel», indique Jean Proulx, professeur à l’École de criminologie. Avec trois autres criminologues, dont Maurice Cusson et Éric Beauregard, également de l’École de criminologie, il a dirigé un ouvrage collectif, Les meurtriers sexuels, récemment publié aux PUM.

«Nous voulions savoir ce qui distingue le meurtrier sexuel du violeur, autrement dit savoir pourquoi certains vont jusqu’au meurtre alors que d’autres s’arrêtent au viol. Quelles sont les différences de personnalité, d’histoire de vie et de contexte qui caractérisent ces deux formes de crimes sexuels?» précise le chercheur.

Pour parvenir au portrait le plus précis possible, les chercheurs n’ont retenu que les cas de meurtres commis par des hommes à l’endroit de femmes, en excluant les meurtres d’enfants, d’autres hommes et ceux perpétrés par les femmes. Ceci, parce que les meurtres d’hommes sur des femmes constituent le profil dominant du meurtre sexuel et parce que les autres études sur le sujet ont manqué de spécificité.

L’étude a donc porté sur les 40 meurtriers sexuels de femmes incarcérés au Québec en 1999, qui ont été comparés avec une centaine de violeurs. Ce premier chiffre dégonfle un premier mythe, selon le professeur Proulx: «Les meurtres sexuels sont beaucoup moins fréquents qu’on le croit, dit-il. On n’en compte que quatre ou cinq par année au Québec et autour de 25 dans l’ensemble du Canada.»

Un deuxième mythe que l’étude casse est celui du tueur en série. Bien que 60 % des tueurs en série soient des meurtriers sexuels, ces tueurs ne représentent que de 2 à 3 % des meurtriers sexuels. Il n’y en avait aucun dans l’échantillon québécois. La vaste majorité des tueurs en série agissent donc pour d’autres motifs, comme l’illustrent les tueries à caractère politique ou social.

Colériques et sadiques

L’étude révèle que violeurs et meurtriers sexuels diffèrent très peu sur le plan de la personnalité. Les deux types de criminels ont en commun une personnalité évitante, dépendante et schizoïde, c’est-à-dire mal adaptée à la réalité extérieure. Ils se distinguent toutefois par leur histoire de vie. «Le meurtrier est encore plus isolé socialement que le violeur, explique le professeur. Il n’a pas d’amis, vit seul, refermé sur lui-même et il n’a pas une bonne estime de soi. Le meurtrier adopte aussi plus souvent des comportements dangereux et consomme en général alcool et drogue.»

Comme ces personnalités se ressemblent, le contexte peut parfois suffire à faire du violeur un meurtrier si le criminel est de type colérique. Les principaux éléments conjoncturels du meurtre sexuel sont la colère contre une femme, l’effet de l’alcool et la présence d’une arme quelconque à portée de main. «Ces éléments constituent un très mauvais cocktail», déclare Jean Proulx, comme le montre le cas réel mentionné au début de cet article.

L’étude a également mis en évidence l’existence d’une seconde espèce de meurtrier sexuel, le sadique, qui compte pour 40 % des cas. Il se différencie du colérique par le nombre nettement plus élevé d’éléments sexuels dans son histoire de vie. «En plus d’être isolé socialement et d’avoir une faible estime de soi, le sadique a eu beaucoup de rapports avec la sexualité dans son enfance et son adolescence, comme le contact avec la pornographie et la pratique de la masturbation compulsive.»

Le parcours d’un tel individu est le suivant: à l’adolescence, l’individu inhibé et isolé ne parvient pas à avoir de compagne parce qu’il est mal dans sa peau, ce qui amène les filles à le ridiculiser et à l’humilier; ceci a pour effet d’accroitre son isolement et d’alimenter sa haine contre les femmes; il éprouve alors du plaisir à imaginer des scénarios où les femmes sont violées et tuées et c’est dans ce contexte qu’il assouvit ses pulsions. Vivant retiré et dans un monde imaginaire, le schizoïde finit par passer à l’acte.

Alors que le colérique va s’attaquer soit à celle qui est la cause de sa colère ou à la première femme qui se présente, le sadique va minutieusement planifier son crime. Il ne se contente pas d’assassiner sa victime, il prend plaisir à la faire souffrir, à la torturer et à faire durer le supplice. «En entrevue, ces meurtriers affirment que faire souffrir la victime sans qu’elle puisse se défendre est le plus grand pouvoir qu’on puisse imaginer, rapporte Jean Proulx. Ils se sentent comme des dieux ayant le pouvoir de détruire l’autre.»

Il y a pire. Certains sont prêts à recommencer parce qu’ils n’ont pas réussi à aller jusqu’au bout de leur fantasme de torture, qu’ils veulent raffiner!

Réhabilitation

De tels individus sont-ils réhabilitables? «La réhabilitation est plus facile avec le colérique parce qu’il manifeste davantage de volonté à s’en sortir et qu’il est plus ouvert aux traitements, répond le criminologue. Pour le sadique, c’est plus difficile, car il est inhibé depuis l’enfance. À défaut de réhabilitation, il faut les garder enfermés jusqu’à ce qu’ils ne représentent plus de danger pour la société, c’est-à-dire jusqu’à la fin de leurs jours.»

Tous profils confondus, il y aurait 17 % de récidive chez les meurtriers sexuels non traités et 8 % chez ceux qui ont accepté un traitement thérapeutique.

Cette étude permet également d’orienter les enquêtes et les interrogatoires en fonction du type de meurtrier à qui on a affaire. «Le colérique est plus émotif et l’on obtiendra plus de succès si l’on intervient sur le plan de l’émotion, estime le professeur Proulx. Un individu soupçonné de meurtre s’est mis à pleurer et a tout avoué lorsque les policiers lui ont demandé “Crois-tu que ta mère serait fière de toi?”»

Mais le sadique est plus «fin finaud». Organisé et logique, il se plait à faire marcher les policiers, qui doivent parvenir à le prendre en défaut et se montrer plus rusés que lui.

L’équipe de Jean Proulx entend poursuivre ses travaux sur ce sujet en explorant les hypothèses biologiques, hormonales et neurologiques susceptibles d’expliquer ce genre de comportement.

Des 11 collaborateurs de cet ouvrage, trois autres sont de l’École de criminologie, soit le professeur Jean-Luc Bacher et les doctorants Étienne Blais et Tony Brien.

Daniel Baril



 
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