Édition du 28 mars 2005 / volume 39, numéro 26
 
  D’enfant précoce à lauréat d’un prix Nobel
Le chercheur de renommée internationale David Hubel cultive l’art de ne pas se prendre au sérieux

David Hubel

Comment devient-on lauréat d’un prix Nobel? Pour David Hubel, tout a commencé avec une expérience de chimie réalisée alors qu’il était enfant et qui a bien failli pulvériser la maison familiale, à Outremont. Cette expérience a été suivie par son admission à la Faculté de médecine de l’Université McGill malgré sa méconnaissance de la biologie, ce qui l’a étonné et fait douter de lui-même. Cela n’a toutefois pas empêché David Hubel de consacrer les décennies suivantes à chercher, un peu comme on va à la pêche, les cellules qui lui permettraient de comprendre la façon dont le cerveau contrôle la vision.

David Hubel est la preuve vivante que ce n’est pas parce qu’on a reçu un prix Nobel qu’on cesse d’être la personne modeste et discrète qu’on a toujours été. Le 17 mars, le professeur émérite de l’Université Harvard, aujourd’hui âgé de 78 ans, a prononcé une conférence à l’UdeM à l’occasion de la semaine Cerveau en tête pour parler non seulement de la complexité des structures cérébrales responsables de la vue, mais aussi des moyens pour réussir sa vie professionnelle.

Ses recherches l’ont conduit à cartographier le cortex visuel, ce qui lui a valu de remporter, avec son collaborateur de longue date Torsten Wiesel, le prix Nobel dans la catégorie (étrangement nommée) physiologie ou médecine en 1981. Ce prix soulignait «leurs découvertes sur le traitement de l’information par le système visuel». MM. Hubel et Wiesel ont partagé la moitié du prix avec Roger Sperry, récompensé pour ses travaux sur la séparation des fonctions cognitives et affectives entre les hémisphères gauche et droit du cerveau.

Étudier la vision semblait plus facile

Né à Windsor, en Ontario, et élevé à Montréal, David Hubel a passé la majeure partie de sa vie professionnelle aux États-Unis, sous la supervision de Stephen Kuffler, aujourd’hui décédé. Stephen Kuffler était si apprécié par ses pairs que, lorsqu’il décida de déménager son laboratoire de l’Université Johns Hopkins à l’Université Harvard, les neuf membres de son équipe de recherche, et leur famille, l’ont suivi, y compris David Hubel. C’est à Harvard, dans le cadre d’une longue collaboration avec Torsten Wiesel, qu’il tient pour son alter ego, que M. Hubel a mené les travaux qui allaient lui valoir le prix Nobel.

En écoutant cet homme affable et réservé expliquer ce qui l’a incité à se pencher, au milieu des années 50, sur les structures responsables de la vision, on constate que la modestie figure au premier rang de ses qualités. À l’Institut Walter Reed, où il a travaillé avant de poursuivre ses recherches à l’Université Johns Hopkins, son directeur lui avait indiqué que personne au sein de l’équipe de neurophysiologie expérimentale ne s’intéressait à la vision. Pragmatique, David Hubel s’est dit qu’en choisissant ce champ de recherche il aurait moins à jouer du bistouri, le système visuel se trouvant à proximité du cerveau des chats étudiés. «Cela m’apparaissait plus facile», explique-t-il.

David Hubel a mis des années à recenser les fonctions cérébrales. Il a entre autres localisé les zones du cerveau responsables de la reconnaissance visuelle de la couleur, de la profondeur et du mouvement. En outre, il a étudié le son produit par la décharge de nerfs optiques d’animaux en réponse à divers stimulus visuels. Ce son, qui a pu être entendu au cours de la conférence, s’apparente à celui produit par un morceau de caoutchouc qu’on frotte lentement contre la peau mouillée.

Illusions d’optique

La conférence de M. Hubel, organisée par le Groupe de recherche sur le système nerveux central de l’UdeM et par la Society for Neuroscience, qui compte quelque 400 membres à Montréal, a constitué l’évènement phare de la semaine Cerveau en tête. L’un des moments forts de cette conférence a été sans contredit la présentation de jeux d’optique pour illustrer les merveilles du cortex visuel. Des lignes diagonales en mouvement ont été projetées sur un écran géant pour ensuite disparaitre subitement. Les gens dans la salle ont alors eu l’impression de voir réapparaitre les mêmes lignes, immobiles cette fois, un phénomène expliqué par la fonction réflective du cerveau. M. Hubel a aussi démontré comment la couleur est définie par la zone qui l’entoure, faisant passer un point du noir au blanc en modifiant simplement l’intensité du fond sur lequel celui-ci est projeté.

Si David Hubel fascine par l’étendue de son savoir en neurosciences, il n’en demeure pas moins un personnage énigmatique. Avant de partager quelques-unes de ses connaissances encyclopédiques, l’homme a raconté quelques anecdotes liées à son enfance, notamment l’explosion qu’il avait provoquée en mélangeant du chlorate de potassium avec du sucre. Il a aussi parlé de la fois où, après avoir rempli un ballon avec de l’hydrogène et y avoir placé un message, il avait reçu, quelques semaines plus tard, un appel-surprise d’une jeune fille de Sherbrooke chez qui l’engin avait fini par atterrir.

À la fin de la conférence, David Hubel a répondu aux questions de l’auditoire, dont celles sur la recette de son succès. Il a donné ces simples conseils: commencer et ne jamais abandonner. «On découvre beaucoup de choses à propos d’une région si l’on ne s’en éloigne pas», a-t-il souligné.

Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il aimerait étudier s’il pouvait vivre 50 ans encore, il a indiqué qu’il s’intéresserait à la région du cerveau qui contrôle le système auditif, celui-ci ayant malheureusement été négligé par les scientifiques.

Après avoir passé en revue ses travaux de recherche, David Hubel a conclu non pas avec la grandiloquence attendue d’un lauréat d’un prix Nobel, mais plutôt avec la modestie qui a marqué la soirée et qui le caractérise: «Je me suis bien amusé.»

Philip Fine
Traduit de l’anglais par Simon Hébert



 
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