Édition du 28 mars 2005 / volume 39, numéro 26
 
  Un essai s’intéresse aux modèles masculins
«Le Québec manque de figures masculines positives», selon Mathieu-Robert Sauvé

Selon Mathieu-Robert Sauvé, les figures masculines québécoises sont défaillantes dans les écoles et dans la sphère publique.

Peter Pan, héros, absent, sacrifié, vire-capot, chien sale, traitre, frustré, père manqué… Quel homme êtes-vous?

L’auteur du nouvel essai Échecs et mâles, Mathieu-Robert Sauvé, se décrit pour sa part comme un «homme nouveau» avec un côté «brouillon» qui correspond probablement à ce qu’on peut qualifier de typiquement masculin. «J’aime ça jouer à celui qui pisse le plus loin; boire de la bière et péter en gang me fait rire, dit-il sans gêne. Mais j’apprécie aussi la musique classique, la littérature et le théâtre.»

Le journaliste de Forum assume son côté homme rose avec fierté et dit être «aussi bon qu’une mère» avec ses deux fils, Léonard et Edmond. «L’homme nouveau est pour moi sans complexe par rapport à la vie domestique. Il fait la cuisine, le ménage et est capable d’être tendre avec ses enfants. Ce n’est pas une caricature de l’homme tel qu’on le présente trop souvent dans la publicité, la dramaturgie et la littérature.»

Dans son troisième essai, qui vient de paraitre aux Éditions des Intouchables, Mathieu-Robert Sauvé s’intéresse aux modèles masculins au Québec, du marquis de Montcalm à Jacques Parizeau. À travers trois chapitres – Des losers dans la tête, Des losers dans l’Histoire et Quatorze types d’hommes –, l’auteur dresse un portrait de la condition masculine en explorant l’absence de modèles québécois.

Les héros existent. Mais ils sont rares chez nous, signale le journaliste. «L’histoire du Québec présente très peu de ces figures incarnant le courage et l’intégrité, voire l’héroïsme devant l’adversité. Elle a plutôt tendance à déboulonner les grands hommes, parfois avant qu’on leur érige des monuments», écrit-il dans l’introduction de son essai. En entrevue, il explique que, comme le Canada n’a pas de tradition guerrière, c’est donc dans la société civile que les modèles masculins ont émergé.

«Malheureusement, les héros du samedi soir sont moins nombreux qu’autrefois sur la patinoire, ajoute-t-il. Sur la scène politique, les modèles sont souvent médiocres quand ils ne sont pas pitoyables. Rarement héroïques, en tout cas. Il y a pire. Les modèles masculins sont si tristes qu’ils ont transmis à leurs émules un syndrome pervers, celui du loser

C’est le constat cynique que l’auteur fait à partir des ambigüités de l’identité masculine québécoise qui passent par les personnages publics. «On dirait que toute la scène publique est occupée par des perdants, commente Mathieu-Robert Sauvé. On peut remonter aussi loin qu’à la Conquête, nos figures dominantes masculines sont des modèles d’échecs.» Pour lui, l’exil de Louis-Joseph Papineau, la démission de René Lévesque et la défaite référendaire de Jacques Parizeau, pour ne nommer que ceux-là, sont des échecs qui ont imprégné notre imaginaire au point qu’on ne s’étonne même plus de voir dans les publicités et les téléromans des hommes faibles, niais, hypocrites ou violents.

«C’est le livre dont je suis le plus fier, affirme le journaliste, car je défends une idée. Je crois que j’ai touché à quelque chose de fondamental dans la culture québécoise. Mais l’ouvrage va probablement déplaire à plusieurs. Les souverainistes ne seront pas contents de voir que je dépeins tous leurs leaders comme des losers et les fédéralistes vont me reprocher de ne pas prendre exemple sur les grands Canadiens qui ont dirigé le pays.»

Pas d’avenir sans hommes

Auteur de six ouvrages, dont trois biographies romancées, Mathieu-Robert Sauvé est journaliste depuis 1988 à l’Université.

Il a eu l’idée d’écrire ce livre sur la condition masculine à la suite d’une entrevue effectuée pour le journal Forum avec le patron de L’escalier, une entreprise de réinsertion sociale de l’est de Montréal. «Ma rencontre avec Jacques Baillargeon m’a fait réaliser que les modèles masculins étaient carencés et lacunaires. Il m’a révélé que la plupart des jeunes sont incapables de donner un seul nom lorsqu’on leur demande de nommer une idole. Ils sont sans voix.»

Il y a plusieurs années, ils auraient répondu René Lévesque, Guy Lafleur, Jean Béliveau, Félix Leclerc ou encore Patrick Roy. Aujourd’hui, ils n’ont pas de modèle inspirant, selon Mathieu-Robert Sauvé. «Sans modèles, les hommes sont comme des boussoles qui ont perdu le nord magnétique. Ils ne savent pas qui ils sont ni ce qu’ils aimeraient être», estime-t-il.

Ce père de deux garçons s’inquiète parfois de leur intégration au monde des grands, mais il garde tout de même espoir. «Trop d’hommes – des garçons, des ados, des jeunes adultes – traversent leur crise d’identité sans prendre conscience que c’est au plus profond d’eux-mêmes que repose une certaine idée de leur masculinité, peut-on lire dans sa conclusion. Cette image de l’homme dépressif et malheureux, sur le point de se donner la mort, bref l’image du parfait loser, nous est imposée depuis deux siècles. Si elle s’est fixée dans notre inconscient collectif, il n’en tient qu’à nous de la remplacer par une image plus positive.»

Dominique Nancy



 
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