Édition du 4 avril 2005 / volume 39, numéro 27
 
  Les banques de sang soulèvent des questions
Certaines utilisations des échantillons de sang des nouveau-nés font problème. D’énormes enjeux éthiques y sont rattachés.

Le dépistage obligatoire des maladies traitables est dans l’intérêt de l’enfant, mais la conservation des échantillons suscite des questions éthiques.

Au Québec, on prélève systématiquement depuis environ 30 ans du sang à tous les nouveau-nés. Les échantillons permettent de dépister les nourrissons atteints d’une des trois maladies héréditaires graves (la tyrosinémie, la phénylcétonurie et l’hypothyroïdie congénitale) pour lesquelles il existe cependant des traitements. Le hic, c’est qu’aucune loi ne régit la mise en banque des échantillons pour utilisation ultérieure de la recherche, soutient Denise Avard, chercheuse au Centre de recherche en droit public (CRDP).

La directrice de la recherche du Projet génétique et société au CRDP, qui n’est pas juriste mais sociologue de formation, rappelle que dans notre province il y a un consentement acquis pour le prélèvement d’échantillons sanguins à des fins thérapeutiques. «Aucun dépistage n’est effectué dans le cas de maladies qui ne peuvent être traitées immédiatement, précise-t-elle. Les échantillons sont conservés durant un an environ afin de permettre la confirmation des résultats.»

Mais qu’advient-il des spécimens de sang par la suite? «Difficile de savoir, admet Mme Avard. Et c’est là que surgissent les enjeux éthiques. L’utilisation postérieure d’échantillons stockés, à des fins autres que l’évaluation du programme de dépistage, exige une grande transparence. Or, il n’existe actuellement aucune politique qui encadre la conservation et l’utilisation des échantillons de sang au Canada. La responsabilité est laissée à la discrétion du directeur du laboratoire de santé publique.»

Le Québec est la seule province canadienne où les échantillons sont généralement détruits après un an, révèle une étude pilote réalisée par Mme Avard. Par comparaison, la Saskatchewan conserve les spécimens pendant 30 ans alors que d’autres ne se sont pas encore interrogées sur la durée de conservation des prélèvements. «À cet égard, le Québec a une certaine longueur d’avance», constate Denise Avard. À son avis, lorsque les échantillons sont gardés plus longtemps que ne le requièrent les contrôles de qualité des tests, informer les parents au moment du prélèvement quant à la durée, la finalité et les méthodes de conservation, comme la confidentialité entourant le processus, constitue une pratique adéquate et nécessaire.

Le Danemark, un modèle

Selon une autre étude qu’elle a menée dans sept pays (Canada, États-Unis, Danemark, Australie, Nouvelle-Zélande, France et Royaume-Uni) en collaboration avec Linda Kharaboyan et Bartha Maria Knoppers, respectivement agente de recherche et professeure à la Faculté de droit, les pratiques de conservation des échantillons de sang des nouveau-nés varient. Le Danemark, par exemple, conserve les spécimens indéfiniment, alors que d’autres, comme la France, ne procèdent à aucune mise en banque de prélèvements sanguins destinés à la recherche.

Denise Avard

«La diversité des pratiques de stockage accroit les préoccupations vis-à-vis des programmes de dépistage néonatal pour lesquels des considérations éthiques au sujet de la vie privée, de la confidentialité et de l’autonomie des patients nous poussent à nous questionner, souligne la chercheuse. Ainsi, que devrait-on dire aux parents au sujet de la conservation et de la réutilisation des échantillons sanguins? À quel moment et de quelle façon devraient-ils être informés?»

C’est dans le but de répondre à ces questions et à plusieurs autres que la sociologue a entrepris avec ses collègues une étude d’envergure internationale sur les pratiques de conservation. Les résultats publiés en janvier dernier dans le Journal of Law, Medicine & Ethics révèlent qu’à l’exception du Danemark et du Royaume-Uni le stockage et l’utilisation secondaire des échantillons sanguins s’effectuent généralement sans un consentement explicite parental.

«Le Danemark se distingue par son approche novatrice qui respecte les principes touchant à la fois au consentement et à la confidentialité de l’information, constate Mme Avard: les parents sont avisés du processus et ils ont la possibilité de refuser que les échantillons de leur enfant soient conservés après que le dépistage a eu lieu. Sa stratégie de conservation est celle du double codage. Le sang est conservé dans une banque et les données nominatives dans une autre. Cette façon de faire permet de prévenir les accès non autorisés et assure la sécurité des échantillons identifiés ou identifiables.»

Formulation d’un texte normatif

Depuis les développements de la génomique, les échantillons sanguins des nouveau-nés représentent des spécimens précieux d’ADN, fait remarquer Denise Avard. «Particulièrement pour les chercheurs qui s’intéressent à l’interaction entre les gènes et l’environnement, dit-elle, car il s’agit de données représentatives non biaisées. Mais en l’absence de directives uniformes, il y a un besoin pressant d’élaborer des politiques qui abordent la question des dilemmes moraux, légaux et sociaux liés à la conservation et à l’utilisation de ces données aux fins de la recherche.»

Grâce à un financement de 75 000 $ des Instituts de recherche en santé du Canada, Mme Avard et ses collègues poursuivent présentement leurs travaux à l’échelle nationale afin de mieux connaitre les politiques canadiennes. Le but visé est de regrouper des partenaires de chaque province au sein d’un comité de travail qui se penchera sur la formulation d’un texte normatif. «Ce qui ne devrait pas trop tarder», selon la sociologue.

Dominique Nancy



 
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