Édition du 18 avril 2005 / volume 39, numéro 28
 
  La schizophrénie au tomodensitomètre
L’imagerie cérébrale révèle les problèmes de connexions neuronales chez les schizophrènes

Le célèbre tableau Le cri, d’Edvard Munch

Les personnes atteintes de schizophrénie et d’émoussement affectif présentent un déficit d’activation cérébrale dans le cortex préfrontal qui peut être corrigé par des antipsychotiques. C’est ce qu’ont révélé une série d’études en imagerie cérébrale dirigées par Emmanuel Stip, titulaire de la Chaire Eli Lilly Canada de recherche en schizophrénie et professeur au Département de psychiatrie.

L’effet des antipsychotiques sur l’émoussement affectif était connu, mais c’est la première fois qu’on en observe l’action dans le cerveau, affirme le professeur Stip.

L’émoussement affectif ou affect plat désigne une inhibition des habiletés affectives chez certains schizophrènes qui se manifeste par une faible réaction aux stimulus émotifs et par l’incapacité de décoder les expressions faciales des autres. Ce déficit de communication avec l’entourage entraine le retrait social. Ces symptômes ont été considérés comme des caractéristiques universelles de la schizophrénie, mais le Dr Stip est plutôt d’avis que l’émoussement affectif est propre à une sous-catégorie particulière de schizophrènes.

Emmanuel Stip

Pour observer l’effet d’un antipsychotique (la quétiapine) sur l’émoussement affectif, Emmanuel Stip a fait deux séries de mesures au tomodensitomètre crânien (scanner) chez des patients schizophrènes, soit avant le traitement pharmaceutique et six mois plus tard. Ces mesures ont été prises pendant que les sujets étaient soumis à des stimulus visuels, l’un neutre et l’autre à forte charge émotive (un père assistant à la mort de son fils).

Des tests psychométriques destinés à évaluer la tristesse ont aussi été effectués aux mêmes moments. Avant le traitement à la quétiapine, les sujets atteints d’émoussement affectif montraient des scores très faibles à ces tests, soit 0,5 sur une échelle de 8, même après avoir été exposés au stimulus triste. Mais après six mois de traitement, les mêmes sujets obtenaient des résultats de 5,5 à ces tests.

Cet effet a pu être observé au tomographe. Comme les sujets sans émoussement affectif, ceux dont l’affect était plat ont montré une activation cérébrale dans le cortex préfrontal au moment du visionnement du film triste, ce qui n’était pas observable avant le traitement.

Le cortex préfrontal joue un rôle capital dans le déclenchement de réactions qui accompagnent normalement les émotions produites par le système limbique. Une défaillance dans ce cortex pourrait expliquer l’émoussement affectif. Quant à la quétiapine, elle est réputée pour faciliter l’action de la dopamine et de la sérotonine, deux neurotransmetteurs essentiels dans la régulation des émotions.

Les hallucinations auditives

L’équipe d’Emmanuel Stip a par ailleurs eu la rarissime occasion de mener des travaux d’imagerie cérébrale sur une schizophrène qui souffrait presque constamment d’hallucinations auditives verbales. La patiente était en mesure d’indiquer aux chercheurs à quel moment celles-ci se produisaient, ce qui leur a permis de prendre des mesures au cours des moments d’accalmie et pendant les périodes d’hallucinations.

Deux hypothèses généralement considérées comme opposées sont proposées pour expliquer ce type d’hallucinations: la première fait état d’un dysfonctionnement du cortex auditif et la seconde fait valoir une mauvaise interprétation de la parole intérieure, perçue comme étant d’origine extérieure. Cette seconde hypothèse repose notamment sur l’observation de mouvements des muscles péribuccaux pendant les hallucinations, alors que certaines études auraient également observé une activation de l’ère de Broca.

Les données recueillies par Lahcen Ait-Bentaleb, étudiante au doctorat au Département de psychiatrie, tendent à indiquer que ces deux hypothèses ne seraient pas nécessairement opposées. Sa recherche a mis au jour, pendant les phases hallucinatoires, une activation importante du gyrus temporal supérieur droit (aire supérieure du lobe temporal) et du cortex auditif primaire gauche. L’activation du gyrus temporal soutient  l’hypothèse de la voix intérieure, alors que l’activation du cortex auditif appuie l’hypothèse du dysfonctionnement de ce cortex.

Selon les chercheurs, l’activation de ces deux centres montre, conformément à leur hypothèse, que ceux-ci sont en interaction pendant les hallucinations auditives. Mais l’activation asymétrique pourrait expliquer les hallucinations: l’activation défectueuse du gyrus temporal permettrait en fait à la voix intérieure d’accéder au cortex auditif, qui l’interprèterait comme une voix extérieure.

Pour le Dr Stip, l’ensemble de ces travaux en imagerie cérébrale prouve que la schizophrénie est une maladie causée par des problèmes de connexions neuronales, problèmes que des médicaments peuvent atténuer. Ces travaux ont fait l’objet du premier colloque tenu par la Chaire Eli Lilly en février dernier, une expérience que le professeur Stip entend renouveler chaque année.

Le chercheur poursuit actuellement ses travaux auprès de schizophrènes consommateurs de cannabis afin de déterminer l’effet de cette consommation sur l’émoussement affectif.

Daniel Baril



 
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