Édition du 18 avril 2005 / volume 39, numéro 28
 
  Le rachitisme sévit encore au Canada
Il suffit d’une goutte de calcium par jour pour éviter la maladie

Le manque de vitamine D peut faire des ravages.

«Tous les nourrissons allaités exclusivement devraient recevoir des suppléments quotidiens de vitamine D», préconise la Dre Gloria Jeliu sur la base des résultats d’une étude récente de la Société canadienne de pédiatrie, qui a recensé plus de 79 cas de rachitisme nutritionnel au cours des deux dernières années au Canada.

Pédiatre renommée de l’Hôpital Sainte-Justine et professeure de clinique à l’UdeM, la Dre Jeliu déplore qu’il y ait encore autant de cas d’une maladie qui peut être évitée par une mesure aussi simple que la prise de suppléments de vitamine D au cours de l’allaitement maternel. Ce n’est toutefois pas comme dans les années 60, alors que le Québec était, après l’Éthiopie, le deuxième point sur la planète où le rachitisme faisait le plus de victimes. «Mais nous devons renouveler nos efforts pour sensibiliser les professionnels de la santé et les parents à ce problème», dit-elle.

L’étude citée par Mme Jeliu a été réalisée entre juillet 2002 et juin 2004 et a permis d’obtenir de l’information auprès de 2300 pédiatres canadiens. Ainsi, la majorité des cas de rachitisme nutritionnel au pays, soit 86 %, ont été observés chez des nouveau-nés et des tout-petits à la peau foncée qui étaient allaités exclusivement et à qui les mères ne donnaient pas de calcium. Ceux à la peau claire sont aussi touchés par la maladie; ils représentent 12 % des cas confirmés dans l’étude. «Ils sont bien sûr aussi vulnérables, mais le danger guette davantage les enfants à la peau foncée, car leur peau bloque les rayons solaires et les empêche de pénétrer dans leur corps pour y produire de la vitamine D», explique la Dre Jeliu.

Lait et soleil

Le rachitisme par carence en vitamine D affecte surtout les enfants âgés de 6 à 18 mois. La maladie s’attaque au squelette de l’enfant et laisse chez lui de graves séquelles tels des malformations aux membres, un risque accru de fractures et un retard du développement.  Les jeunes puisent surtout cette vitamine dans le lait et l’exposition au soleil.

«La vitamine D est peu présente dans les aliments, à l’exception du foie, du poisson et des œufs, souligne la Dre Jeliu. Voilà pourquoi on enrichit certains aliments, notamment le lait, la margarine, les boissons de soya et certains yogourts.»

Quant au lait maternel, une excellente source d’alimentation pour un bébé, il est très pauvre en vitamine D. À preuve, 97 % des enfants rachitiques sont nourris au sein. «Pour éviter les risques de rachitisme, les mères n’ont qu’à donner une goutte de calcium par jour à leur enfant», rappelle la Dre Jeliu, qui a écrit plusieurs articles sur le sujet dans les années 80.

À cette époque, elle avait déjà fondé l’un des premiers centres de protection de la jeunesse, la Clinique de protection de l’enfance, et s’occupait d’une centaine de jeunes patients atteints de rachitisme. «Par la suite, on a cru la maladie disparue», affirme celle qui vient de recevoir le prix Victor-Marchessault pour la défense des enfants. Que s’est-il passé? «Il faut croire que le message s’est perdu», regrette la pédiatre d’origine bulgare.

Pédiatre renommée et professeure à l’UdeM, la Dre Gloria Jeliu déplore qu’il y ait encore de nos jours autant de cas de rachitisme au Canada.

À son avis, il faut réévaluer l’efficacité des stratégies destinées à prévenir cette maladie, notamment en mettant l’accent sur des campagnes de sensibilisation auprès des parents et des professionnels de la santé. «Cela est d’autant plus important que, dans 16 % des cas confirmés dans l’étude de la Société canadienne de pédiatrie, les mères avaient immigré au Canada au cours des mois précédant le diagnostic», soutient la Dre Jeliu. Près de 50 % provenaient de l’Ontario, 16 % de l’Alberta, 13 % du Québec et les 22 % restants étaient répartis entre la Colombie-Britannique, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse.

Par ailleurs, l’étude révèle que seulement 16 % des mères avaient reçu des suppléments de vitamine D pendant leur grossesse. Après l’accouchement, ce chiffre avait chuté à 6 % et la majorité ne buvaient pas de lait au cours de la période postnatale. «En somme, ces mères n’avaient pas de réserves suffisantes de vitamine D durant l’allaitement», conclut la pédiatre, qui insiste sur l’importance d’administrer un supplément quotidien de vitamine D aux enfants allaités exclusivement.

Une carrière bien remplie mais loin d’être terminée

La Dre Gloria Jeliu travaille au Centre hospitalier universitaire mère-enfant Sainte-Justine depuis 40 ans et a formé plusieurs générations de pédiatres au Québec. Outre la Clinique de protection de l’enfance, qu’elle a fondée en 1972 et dirigée jusqu’en 1980, elle a participé à la création du Centre de développement de Sainte-Justine, où une équipe multidisciplinaire de médecins évaluent ensemble des enfants aux prises avec des retards de langage ou des troubles du comportement. Elle a également mis sur pied en 1994, avec deux collègues, la Clinique d’évaluation de l’attachement de l’enfant, où elle travaille toujours. À 83 ans, celle qui a consacré sa carrière à venir en aide aux enfants se préoccupe aujourd’hui particulièrement de leur développement et de bioéthique.

Le prix Victor-Marchessault, que lui a décerné récemment l’Hôpital Sainte-Justine à l’occasion de son 100e anniversaire, n’est pas le seul honneur à lui avoir été attribué. La Dre Jeliu a reçu en 2002 le prix Prestige de l’Association médicale du Québec et, en 2001, elle a été nommée membre de l’Ordre du Canada. L’an dernier, La Presse l’a désignée personnalité de la semaine.

«Ah ça, de la personnalité, j’en ai. Vous n’avez qu’à demander aux secrétaires et aux collègues qui travaillent avec moi», lance à la blague la dynamique pédiatre qui prend son travail beaucoup plus sérieusement qu’elle-même.

Dominique Nancy



 
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