Édition du 18 avril 2005 / volume 39, numéro 28
 
  C’est le printemps du livre savant!
Quatre chercheurs explorent le phénomène de l’érudition sur papier

Toutes les formes littéraires intéressent Benoit Melançon. Ce printemps, c’est le livre savant.

Les Presses de l’Université de Montréal (PUM), les Presses de l’Université du Québec (PUQ) et les Presses de l’Université Laval (PUL) publient chaque année, au total, une centaine d’ouvrages qu’on qualifie de «savants». Qu’est-ce que cela signifie au juste? «Répondre à cette question nous occupera pendant quatre conférences», dit, stoïque, Benoit Melançon, professeur au Département d’études françaises et directeur scientifique des PUM.

M. Melançon fait référence aux exposés qu’il donnera en compagnie de Michel Pierssens, Yvan Lamonde et Christian Vandendorpe, respectivement des universités de Montréal, McGill et d’Ottawa, à l’occasion du Printemps du livre savant, qui débute le 28 avril aux Belles Soirées de l’UdeM, en collaboration avec les PUM et la Direction des bibliothèques. Le professeur Melançon ouvre le bal avec une conférence sur l’Encyclopédie, de Diderot et D’Alembert, une forme précoce de livre savant qui remonte au 18e siècle. «On présentera ce “livre de tous les savoirs”, on réfléchira sur sa mission et l’on verra comment l’informatique pourrait bien être en train, plus de deux siècles après sa publication, d’en bouleverser la lecture», explique le conférencier.

Bien qu’il soit toujours hasardeux de définir un genre littéraire, disons que le livre savant répond généralement à trois critères: il est publié par un éditeur reconnu pour se consacrer au genre, il traite d’un sujet typiquement universitaire et, surtout, il a été évalué par des pairs. «Chaque livre édité chez nous, par exemple, a été évalué par au moins deux spécialistes de la question abordée dans l’ouvrage. Ainsi, un livre de physique quantique fera l’objet d’un rapport de lecture positif signé par des physiciens spécialisés. Même chose pour un volume en science politique ou en sociologie.»

Accessibilité et rigueur

Devant un manuscrit qui leur est soumis pour publication, les éditeurs spécialisés se posent la question suivante: ce texte fera-t-il significativement avancer les connaissances dans le domaine qu’il occupe? Si la réponse est oui, le processus d’édition peut s’enclencher. On s’attend à ce que l’auteur traite de questions techniques parfois très complexes, mais avec le souci d’être compris. Il s’agit de trouver le bon dosage, en résumé, entre accessibilité et rigueur.

Mais le livre savant n’a pas pour objectif d’atteindre un large public. «Quand Hubert Reeves publiait dans Nature, il faisait des textes savants. Les livres qu’il fait paraitre au Seuil sont des ouvrages de vulgarisation. Ce n’est pas la même chose.»

S’il tombe souvent dans un langage hermétique aux yeux des profanes, le livre savant n’échappe pas aux pressions économiques. «Les organismes subventionnaires exigent un tirage minimal de 500 exemplaires, fait remarquer M. Melançon. Au-dessous de ce seuil, les couts de production sont trop élevés. Cela dit, nous n’avons rien contre les livres qui se vendent bien.»

Récemment, un ouvrage d’introduction aux relations internationales, signé Diane Éthier, a connu une réédition, car il est en forte demande dans la francophonie. Et la Flore laurentienne, du frère Marie-Victorin, a donné aux PUM un succès encore inégalé dans le monde de l’édition savante québécoise.

Pour certains observateurs, l’ère numérique aurait pu sonner le glas de la monographie savante, largement subventionnée, et personne n’aurait pleuré. Benoit Melançon s’insurge contre cette vision des choses. «Le livre occupe encore une place majeure dans la diffusion des connaissances, défend-il. Pour être professeur d’université en lettres, de nos jours, il faut avoir publié sa thèse. Et quand on me dit que le livre savant ne fait pas ses frais, je réponds que les avions de Bombardier non plus.»

Ce qui risque de changer, c’est la diffusion des actes de colloques et des revues savantes, qui sont déjà très touchées par la numérisation. Les abonnés le savent. Pour un nombre croissant de publications scientifiques, il faut payer un supplément afin d’obtenir un exemplaire sur papier.

Le savoir des livres

Spécialiste de l’évolution des formes de la communication littéraire, des échanges épistolaires à la plume aux correspondants électroniques d’aujourd’hui, Benoit Melançon a constaté que le livre savant avait fait l’objet de très peu d’attention de la part des chercheurs en humanités. D’où l’idée de cette série de conférences qui a uni les intérêts du Service des livres rares et des collections spéciales, de l’éditeur universitaire et de la Faculté de l’éducation permanente. Une collaboration qui s’est avérée très positive, par ailleurs.

Le professeur Melançon a lui-même bénéficié de cette convergence d’intérêts puisqu’il lancera dans moins d’un mois un ouvrage abondamment illustré sur les livres savants issus des collections spéciales et des livres rares de la Direction des bibliothèques. Dans Le savoir des livres, il insiste sur le caractère changeant de la publication savante. «Diderot et D’Alembert, avec leur Encyclopédie, avaient-ils conçu le livre savant par excellence? En quoi se distinguait-elle des travaux de précurseurs comme Fontenelle? Le savoir que vulgarise Louis Guillaume Figuier au 19e siècle est-il le même que celui qui envahit les pages des Particules élémentaires de Michel Houellebecq, voire celles du Da Vinci Code de Dan Brown? Plutôt qu’un seul livre savant, il en existe de multiples formes, toutes historiquement déterminées.»

Dans les conférences du printemps, il faut surtout s’attendre à un hommage à «ces formidables machines que sont les livres».

Mathieu-Robert Sauvé



 
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