Édition du 18 avril 2005 / volume 39, numéro 28
 
  La Ville de Montréal ouvre son site aux déficients intellectuels
La professeure Sylvie Rocque déplore le dérapage médiatique autour de l’orthograf alternativ, destinée aux déficients intellectuels

La Ville de Montréal a innové, le 5 avril, en inaugurant un site unique au monde où l’information sur les services essentiels est rendue accessible aux personnes qui éprouvent de sérieuses difficultés intellectuelles mais qui sont en mesure de se débrouiller à l’aide de l’ortograf alternativ.

La réalisation de ce site d’information repose sur les travaux de Sylvie Rocque et Jacques Langevin, professeurs au Département de psychopédagogie et d’andragogie et codirecteurs du Groupe Défi apprentissage. Le site propose deux niveaux de lecture destinés à deux clientèles différentes: un premier niveau est écrit en orthographe d’usage mais dans une forme syntaxique réduite à l’essentiel pour éviter les termes complexes et les abstractions; le second niveau reprend le même texte, mais en ortograf alternativ.

Cette forme orthographique simplifiée au maximum, dont Forum a déjà fait état l’année dernière (5 avril 2004), vise à rendre l’écriture et la lecture accessibles à des personnes pour qui l’orthographe traditionnelle est inaccessible. À cette fin, les 4000 correspondances entre phonèmes et graphies que compte la langue française ont été réduites à 35!

«Cette orthographe s’adresse à des gens qui souffrent de déficiences cognitives importantes et qui ont un quotient intellectuel inférieur à 55» (par comparaison à une moyenne de 100), précise Sylvie Rocque. Les trisomiques sont un exemple de la clientèle ciblée. Il y aurait toutefois moins de deux pour cent de la population visés par une telle forme d’écriture.

L’ortograf alternativ est en fait comparable au braille ou au langage signé, qui sont des modes parallèles destinés à des catégories de personnes n’ayant pas accès aux modes de communication habituels. «Comme tous les modes de rechange, celui de l’ortograf alternativ nécessite un apprentissage, ajoute la professeure. Il est enseigné dans certaines écoles où des parents ont fait ce choix pour leurs enfants qui ne seraient jamais parvenus à maitriser l’orthographe régulière.»

Dérapage

Sylvie Rocque

Mal informés ou n’ayant pas pris la peine de vérifier l’information, des médias ont soutenu que les responsables municipaux et les chercheurs à l’origine de ce site Internet le destinaient à 50 % de la population. Des animateurs de tribunes téléphoniques, dont Denise Bombardier, sont tombés à bras raccourcis sur cette initiative. «C’est du dérapage, regrette Sylvie Rocque. Ces gens n’ont pas compris qu’il s’agissait d’un mode de communication alternatif. L’ensemble de la population qui éprouve des difficultés diverses de compréhension d’un texte, des troubles de la parole et des incapacités intellectuelles est de l’ordre de 30 %, mais ce n’est pas à cet ensemble que s’adresse l’ortograf alternativ

À la suite de ce qui a été dit en ondes, plusieurs personnes ont écrit à la Ville de Montréal pour déplorer ce qu’elles percevaient comme une ghettoïsation des jeunes aux prises avec des difficultés de lecture et d’écriture. «Après qu’on leur a eu mieux expliqué de quoi il s’agissait, la plupart d’entre elles se sont excusées de leur propos», soutient Mme Rocque. À la défense des médias, on doit dire que les communiqués de la Ville de Montréal pouvaient porter à confusion.

Initiative exemplaire

Sylvie Rocque est en fait très heureuse que la Ville de Montréal ait mis ce site en service, une initiative qui découle d’une prise de position du Sommet de Montréal en faveur de l’universalité d’accès à l’information. «Montréal démontre ainsi qu’il va au-delà du discours et qu’il fait quelque chose pour cette catégorie de la population dont il n’a pas honte», déclare la chercheuse.

Quant à l’argument voulant que la Ville ait conçu un outil Internet pour des gens qui n’ont peut-être par les moyens de s’en servir, Sylvie Rocque le rejette: «Internet fait maintenant partie de l’environnement de tous et c’est une bonne chose d’en faciliter l’usage à ceux dont les moyens sont plus limités. Ils peuvent ainsi accéder à de l’information sur les services d’urgence, les activités de loisir ou encore la collecte des déchets.»

Des critiques ont également mentionné qu’un tel site d’accès public pouvait inciter les adolescents à recourir à cette orthographe simplifiée un peu à la manière des codes de clavardage. Les concepteurs du site espèrent contrer cette influence par l’éducation: «Si tu prends mon code, prends aussi mes limitations cognitives», mentionnent les documents. En accédant au site, un écran de mise en garde s’affiche avec le message suivant: «Cette section s’adresse aux personnes qui ont des incapacités intellectuelles sévères et qui sont incapables de lire des textes simples.» Avis aux intéressés.

L’ortograf alternativ connaitra vraisemblablement une diffusion plus large puisque, depuis la reprise par les médias de l’information publiée par Forum l’an passé, des producteurs de logiciels travaillent présentement à un traducteur qui permettrait de convertir en ortograf alternativ un texte rédigé en orthographe d’usage.

Daniel Baril



 
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