Édition du 18 avril 2005 / volume 39, numéro 28
 
  Nancy Huston: contre la dictature du désespoir
Les auteurs les plus influents sont nihilistes. Pourquoi ont-ils exercé une telle fascination sur l’Europe?

Nancy Huston

L’auteure Nancy Huston estime que «les gens qui disent tout le temps que la vie est belle» sont imbuvables. Cela ne l’empêche pas de s’élever vigoureusement contre l’éloge du désespoir caractérisant la grande littérature des 50 dernières années.

«Ce qui m’inquiète, c’est que chaque fois qu’on dit que la vie n’a aucun sens, ça fait plus chic, plus choc, plus littéraire», observe-t-elle. Elle cite au passage l’auteur Michel Houellebecq, qui clame «Soyez abjects, vous serez plus vrais».

L’écrivaine albertaine, qui vit à Paris depuis 25 ans, était de passage à Montréal récemment pour assister à la première d’une pièce tirée de son roman Une adoration et mise en scène par Lorraine Pintal. Mme Huston était l’invitée des Belles Soirées le 13 avril et sa conférence, «Adoration et désespoir», a été un grand succès.

Dans un exposé tout en finesse et teinté d’humour, Mme Huston a parlé de ses deux plus récents ouvrages, le roman Une adoration et l’essai Professeurs de désespoir. Dans le premier, elle a donné vie à une femme, Elke, qui porte un amour immense à un homme, Cosmo. Cette femme puise sa capacité à aimer dans une vision «tout bonheur» de la vie. Or, en cours d’écriture, «dans ma petite mansarde à Paris», l’auteure s’est rendu compte qu’il lui fallait se libérer de l’emprise de cette «philosophie de l’extase». Elle a imaginé une fille qui raconte qu’à force de s’extasier devant les lumières de la vie sa mère, aveuglée, est incapable de voir les choses en face.

Mais pourquoi avoir voulu mettre en scène un personnage entièrement et uniquement positif? En réaction justement à tous ces hommages au néant omniprésents dans la littérature dont elle s’est elle-même abreuvée depuis son adolescence.

Alors qu’elle achevait son roman, Nancy Huston a eu l’idée d’un essai sur le négativisme, sur l’adulation du «tout est pourriture et mensonge en littérature». Elle a jeté son dévolu sur une brochette d’auteurs qui ont marqué non seulement le monde littéraire mais plusieurs générations d’intellectuels. «Le nihilisme est notre Église moderne, qui a remplacé nos utopies en ruine.» 

Donc, dans Professeurs de désespoir, elle s’attarde sur les messages véhiculés par Emil Cioran, Thomas Bernhard, Samuel Beckett, Imre Kertész, Milan Kundera, Elfriede Jelinek, Michel Houellebecq. S’ajoutent Sarah Kane, Christine Angot et Linda Le, trois femmes «teintées de noir». Sans oublier le père du groupe, «le père du néant», Arthur Schopenhauer. Sauf exception, rappelle l’auteure, les hommes mentionnés ont rencontré le désespoir dans l’enfance et leur penchant pour les ténèbres s’est nourri d’abord de drames familiaux. Plusieurs ont rompu (volontairement ou non) avec leur pays natal et leur langue d’origine. Leur point de vue a trouvé un écho considérable, et démesuré selon l’écrivaine, dans une Europe ébranlée par la Seconde Guerre mondiale ou, plus tard, par la chute du marxisme.

Nancy Huston, qui est mère de deux enfants, s’interroge sur l’attrait irrésistible et durable de ces auteurs, dont le propos nie la vie même. «Mes enfants ont rendu cette pause impossible à tenir. J’ai vu la lente émergence du langage, la construction d’un être; j’ai vu que c’était passionnant. Que s’est-il passé dans le monde des lettres pour que soit exclu tout ce qui relève du sentiment et de la sincérité?» demande-t-elle.

De façon générale, cette vision voulant que le malheur soit plus juste que le bonheur appartient aux hommes.

«Aujourd’hui, je chante les louanges de l’ambigüité. Pourquoi doit-on choisir entre les lunettes roses et les lunettes noires? Il y a beaucoup d’autres couleurs.

Paule des Rivières



 
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