Édition du 18 avril 2005 / volume 39, numéro 28
 
  2,5 M$ pour étudier l’agriculture en Asie
Le professeur De Koninck vient de se voir confier par le CRSH la coordination d’un ambitieux projet de recherche qui réunit 20 chercheurs

Rodolphe De Koninck

Sans la crevette, les tsunamis qui ont dévasté l’Asie du Sud-Est le 26 décembre dernier auraient été beaucoup moins meurtriers.

C’est du moins l’opinion du géographe Rodolphe De Koninck, qui connait bien les régions les plus touchées par le raz-de-marée pour en avoir suivi de près l’évolution pendant plus de trois décennies. Mais... quel est le rapport avec la crevette? «Autrefois, explique-t-il, les pêcheurs de crevettes procédaient de façon artisanale et ne mettaient pas en péril la mangrove. Depuis une vingtaine d’années, on a aménagé sur la côte d’innombrables étangs destinés à la crevetticulture industrielle et ayant nécessité l’abattage de forêts entières.»

Écosystème caractéristique des zones tropicales, la mangrove est composée principalement de palétuviers, une essence qui peut vivre dans des eaux saumâtres et des sols pauvres en oxygène. Jusqu’à récemment beaucoup plus étendues, les mangroves freinaient les vagues et celles-ci mouraient avant d’atteindre les agglomérations. «L’Indonésie vit avec les fureurs de la mer depuis toujours, signale M. De Koninck. Ce n’est pas pour rien que la majorité des grandes villes se situaient en retrait du littoral. Mais la croissance économique mal planifiée a considérablement modifié la géographie. On en a payé le prix en 2005.»

Pédagogue-né, M. De Koninck attire ses hôtes près d’une carte géographique affichée dans les locaux du Centre d’études de l’Asie de l’Est. Là, il montre du doigt les villages rayés de la carte après le tremblement de terre et le passage des vagues: à Cot Seumeurung et Simpang, par exemple, il n’y a eu aucun survivant. Il a lui-même perdu plusieurs connaissances dans le désastre.

Révolution majeure en trois siècles

Reconnu mondialement, le professeur De Koninck vient de se voir confier par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada la coordination d’un ambitieux projet de recherche qui réunit 20 chercheurs de trois générations. Issus de disciplines diverses comme la géographie, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, l’urbanisme, etc., ces chercheurs sont rattachés à neuf universités canadiennes, cinq d’Asie du Sud-Est, trois d’Europe et une d’Australie.

Rodolphe De Koninck a sillonné l’Asie du Sud-Est dans le cadre de ses recherches sur la transition agraire.

Financé à raison de 2,5 M$ sur cinq ans, ce projet vise à étudier «les défis de la transition agraire en Asie du Sud-Est». Cinq pays de la région sont particulièrement visés: Malaysia, Thaïlande, Philippines, Indonésie et Viêtnam. «La révolution agraire représente probablement le processus de changement social le plus important des trois derniers siècles, peut-on lire dans la demande de financement. Dans les pays développés du Nord, cette transformation est complétée, mais, dans les pays en développement, elle est encore en cours.»

À l’occasion de chacune de ses missions de recherche, le professeur De Koninck remarque combien l’agriculture continue son expansion. «Cela se fait en grignotant les écosystèmes, forcément, et pose donc des défis environnementaux énormes. Mais cela influence aussi grandement les rapports sociaux.»

Bien que la plupart des exploitations agricoles demeurent de taille modeste, la mécanisation et surtout l’intensification des méthodes de production ont modifié les moyens de production. Cela apparait particulièrement évident dans la riziculture, par exemple, où malgré les hausses de productivité les pertes d’emplois sont nombreuses.

Le travail du géographe, qui parle couramment l’indonésien depuis des études à l’Université d’Hawaii, s’apparente à celui de l’ethnologue. Avec ses collaborateurs asiatiques, il a suivi une soixantaine de familles paysannes d’Indonésie et de Malaysia auxquelles il a rendu visite régulièrement depuis 1972, constatant ainsi les modifications survenues dans le mode de vie des habitants. Il a publié plusieurs livres et de nombreux articles scientifiques à ce sujet et a dirigé au cours de sa carrière une soixantaine de thèses.

Ses recherches lui ont permis de constater que la croissance économique n’avait pas que des conséquences négatives à l’échelle locale. En Indonésie, un pays majoritairement musulman, à peine 20 % des filles avaient accès à l’éducation secondaire dans les années 70. Aujourd’hui, plus de 90 % d’entre elles fréquentent l’école.

Une recherche nécessaire

L’accroissement de la production de crevettes n’est certes pas seule responsable de la mortalité excessive qui a frappé les côtes asiatiques. Mais elle fait partie de ce que Rodolphe De Koninck appelle la «révolution bleue» qui, parallèlement à la relance de l’agriculture, s’est déroulée dans la mer avec l’accentuation des techniques de pêche. Outre l’Indonésie, plusieurs pays sont aux prises avec des problèmes sérieux de pollution et de destruction des habitats pour cause d’intensification et d’expansion agricoles et aquacoles: Viêtnam, Thaïlande, Singapour, Phlippines.

Ce printemps, le chercheur se rendra dans cette région afin de rencontrer ses collaborateurs asiatiques. «Chacun doit établir un plan de recherche et ce voyage a pour but, principalement, de favoriser la coordination de nos efforts», indique cet homme qui a longtemps vécu en Asie et qui y séjourne de deux à trois mois par année.

Arrivé à l’Université de Montréal en juillet 2002 en provenance de l’Université Laval, Rodolphe De Koninck est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études asiatiques. Il se dit très heureux d’annoncer le lancement de ce projet de recherche qui fait converger plusieurs de ses champs d’intérêt dont, au premier chef, l’enseignement et la recherche.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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