Édition du 16 mai 2005 / volume 39, numéro 30
 
  Les bons meneurs doutent parfois d’eux-mêmes
Le professeur Laurent Lapierre déboulonne le mythe du gestionnaire toujours confiant qui est incapable de voir ses faiblesses

Laurent Lapierre est un amoureux des arts. Il a placé dans son bureau une magnifique sculpture sur pierre de l’artiste Jean Pettigrew, intitulée Surnature.

Quel homme enjoué et touche-à-tout passionné, ce Laurent Lapierre, devenu professeur d’université à 38 ans et qui s’intéresse aussi bien aux arts qu’à la pédagogie, la gestion ou le leadership.

«L’enseignement de la gestion ressemble à l’enseignement des arts», dit celui qui a été premier directeur général de la Société artistique de l’Université Laval et premier directeur administratif du Théâtre du trident. Aujourd’hui professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de leadership Pierre-Péladeau, il étudie et enseigne la direction des entreprises artistiques, la pédagogie universitaire et le leadership en milieu organisationnel. Sa méthode de recherche et d’enseignement est celle de l’analyse des cas. Il réfléchit particulièrement sur l’influence de la personnalité des gestionnaires sur leurs façons de diriger et les comportements générateurs de succès et d’échec. 

«On dirige tel qu’on est, affirme M. Lapierre. Avec ses qualités et ses défauts.» Dans le dernier numéro de la revue Gestion, et à paraitre prochainement en anglais dans The International Journal of Arts Management, il déboulonne le mythe du gestionnaire toujours confiant. «On croit à tort qu’un meneur doit posséder une grande confiance en lui et que son image doit refléter cette assurance, note M. Lapierre. Pourtant, quelqu’un de trop sûr de lui ne fera pas forcément un bon gestionnaire, car il est toujours certain de détenir la vérité et n’est pas à l’écoute des gens qui l’entourent.»

À son avis, un gestionnaire intelligent sait qu’il ne possède pas toutes les solutions et a tout avantage à solliciter l’avis de son entourage. «On doit se méfier de la confiance apparente, insiste le professeur Lapierre, elle se distingue de la vraie confiance, qui incite à diriger en exploitant ses talents, à reconnaitre ses lacunes, à admettre ses erreurs, à apprendre d’elles et à continuer. L’important, c’est la manière dont on compose avec ses forces et ses faiblesses pour diriger.» Par exemple, si le manque d’assurance d’un gestionnaire l’amène à travailler plus fort et à consulter davantage son personnel, son insécurité devient un avantage.

Chose certaine, la perspective du leadership du professeur Lapierre est à cent lieues des trucs et astuces. «La confiance ne doit pas venir d’une recette apprise, souligne M. Lapierre. Dans le monde complexe où l’on vit, cette approche ne vaut pas grand-chose.»

Inné ou acquis, le leadership?

Évidemment, les meneurs sont créatifs et déterminés. Bien sûr, ils ont de l’ambition et de la discipline. Immanquablement, ce sont des personnes tournées vers les résultats. Mais ils ne sont pas tous titulaires d’un MBA en administration. «Ce n’est pas le diplôme qui fait le meneur, soutient Laurent Lapierre. Il est possible d’améliorer ses capacités de leadership et à cet égard l’université aide à affiner son jugement et ses habiletés, mais les chefs de file font souvent preuve, dès l’enfance, de qualités qui les prédisposent à exercer une influence. Des compétences qui sont, évidemment, développées par le désir de changer les choses, l’ambition et le travail.»

C’est ce qui fait dire à M. Lapierre que «c’est dans le feu de l’action qu’on découvre ses véritables talents de leader, et qu’on décide ou accepte de les développer, écrit-il. Comme dans le cas de l’acteur de théâtre qui apprend principalement son métier en jouant, les leaders apprennent et construisent leur leadership, acquièrent des connaissances, explicites et implicites, dans l’action.»

Autre caractéristique: tous les grands meneurs, selon lui, ont eu le courage de leurs idées. «Guy Laliberté, du Cirque du Soleil, a cru qu’on pouvait faire un cirque sans animaux. Alphonse Desjardins disait que ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on n’a pas d’argent. Joseph-Armand Bombardier a décidé que l’hiver ne nous empêcherait pas de nous déplacer et il a inventé la motoneige. Toutes ces personnes ont proposé de nouvelles façons de faire et ont su rallier des gens à leurs idées.»

Le rôle de la créativité

Des exemples de leaders d’opinion, de leaders intellectuels et de hauts dirigeants, M. Lapierre peut en citer à la tonne. Il publie chaque semaine dans La Presse des monographies de grands artistes et de personnalités influentes du monde politique ou des affaires. Il rédige également des textes sur le rôle de la créativité, de l’imagination et des émotions, l’influence de la famille et de l’école ou encore l’incidence des nouvelles technologies, de l’argent ou de l’autorité. 

L’expertise du professeur Lapierre quant au leadership et au management des industries culturelles est reconnue sur la scène internationale. Au cours des semaines qui ont précédé l’entrevue avec Forum, le chercheur a donné des conférences à Paris, Dakar, New York, Pittsburgh et Chicago. En juin, il se rendra à Lille, en France, pour participer à un congrès. 

On lui doit entre autres d’avoir démontré l’efficacité de la méthode des cas dans l’enseignement au Québec. Aujourd’hui, l’approche est généralisée chez les professeurs en administration et appliquée à d’autres domaines. Conçue en 1914 à la Business School de l’Université Harvard, la méthode permet à des étudiants d’élaborer un mode de réflexion les aidant à aborder, analyser et résoudre les problèmes présents en entreprise.

Son talent pour l’enseignement et ses travaux de recherche ont été soulignés par de nombreux prix et distinctions. Mentionnons notamment le prix de la pédagogie, décerné en 1997 par HEC Montréal, et le prix 3M de reconnaissance en enseignement, de la Société pour l’avancement de la pédagogie dans l’enseignement supérieur, qui lui a valu d’être désigné personnalité de la semaine par le quotidien La Presse en 2001. Depuis, sa biographie est répertoriée dans le Canadian Who’s Who.

Récemment nommé membre du conseil de direction du Conseil des arts du Canada, le professeur Lapierre, âgé de 64 ans, ne pense pas à une éventuelle retraite. «J’ai le plus beau métier du monde», déclare-t-il en riant.

Dominique Nancy



 
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