Édition du 30 mai 2005 / volume 39, numéro 31
 
  Les Muses de Domenico Fasciano
Les Muses étaient les rivales des sirènes, dont elles étaient jalouses

La célèbre Vénus de Willendorf, -20 000 à -25 000 ans, considérée comme une déesse de la fécondité, accompagne le texte de Domenico Fasciano sur la Terre Mère dans le volume Venire al mondo.

À la fois mythologue, philologue et poète, Domenico Fasciano, professeur au Centre d’études classiques, met à profit ces trois savoir-faire dans son dernier volume, En suivant les Muses.

Il s’agit du deuxième recueil de poèmes du professeur, poèmes rédigés soit en français, soit en italien. «Ce sont des poèmes atemporels écrits au cours de différents voyages scientifiques en Méditerranée», précise-t-il.

Par ce volume, le 13e titre de sa propre maison d’édition – les Éditions Musea –, Domenico Fasciano souhaite «voir la poésie retrouver sa place dans la froide et mercantile société d’aujourd’hui. Cet art de la connaissance des êtres et des choses ne saurait être ramené aux idées de la raison. “Il n’y a de culture que parce que les personnes humaines ont la faculté de créer un univers autre que celui de la nécessité”», écrit l’auteur dans sa préface en citant Fernand Dumont.

Le caractère bilingue du recueil n’est pas fortuit. De l’aveu de Domenico Fasciano, ce bilinguisme nourrit un objectif politique: «J’ai voulu montrer qu’un Italien peut être très bien intégré à la culture francophone – je pense et je rêve en français et en italien – tout en conservant sa culture d’origine. Le français et l’italien sont d’ailleurs des langues sœurs: on dit que l’italien chante et que le français caresse.»

Le thème des Muses était tout trouvé pour un tel projet puisque, en tant qu’inspiratrices de la création artistique et scientifique, elles ne connaissent pas la barrière des langues ni des lieux. Avec ce thème, le mythologue poursuit en même temps son travail de philologue, car il prend soin de nous présenter un aperçu du sens, de l’histoire et de l’évolution du concept des Muses dans la mythologie grecque.

On apprend par exemple que les Muses étaient les rivales des sirènes, dont elles étaient jalouses. À l’origine, elles n’étaient que trois et n’avaient pas d’attribution particulière. À partir de l’époque classique, on en compte neuf et elles couvrent autant d’activités intellectuelles donnant accès aux «vérités éternelles»: poésie, histoire, musique, danse, poésie érotique, tragédie, comédie, rhétorique et astronomie.

L’éternelle Terre Mère

Dans le domaine des «vérités éternelles», il convient également de signaler la publication d’un texte de Domenico Fasciano sur le mythe de la Terre Mère et du culte de la déesse dans un ouvrage collectif magnifiquement illustré, Venire al mondo (Banca popolare de l’Emilia Romagna, 2003), et portant sur la façon dont les religions d’Occident traitent le thème de la naissance.

Le texte du professeur Fasciano avait d’abord été publié en français dans la revue Rivista di cultura classica e medioevale. Il relate l’apparition des premières figures divines féminines et l’évolution de la divinité vers la masculinité. Pour les Grecs de l’Antiquité, c’est Gaïa, la Terre, qui a été le premier élément à émerger du Chaos et qui est à l’origine de tout. Elle a enfanté Ouranos, le Ciel, et de leur union incestueuse sont issus tous les dieux et l’espèce humaine.

«À l’aube des religions, Dieu était une femme», rappelle le mythologue. Cette notion de la Terre Mère, incarnation du principe féminin de la fécondité, se retrouve dans toutes les religions et mythologies et s’avère la forme dominante de la divinité jusqu’à la fin du mésolithique, soit 5000 ans avant notre ère. La vie végétale et souvent animale jaillissant de la terre, il apparait plausible que cette dernière soit aussi le sein de l’espèce humaine. Dans ce système de croyances, les femmes deviennent enceintes lorsqu’elles passent devant des grottes, des crevasses ou des rivières et captent l’énergie fécondatrice des entrailles de la terre.

Le mythe de la Terre Mère réunit «les formes vivantes qui demeurent solidaires de leur matrice commune, écrit le professeur Fasciano. C’est une solidarité d’ordre biologique qui unit le végétal, l’animal et l’humain à celle qui les a engendrés.»

Domenico Fasciano

Ce n’est qu’avec l’avènement de l’agriculture et la domestication des animaux, au fur et à mesure que les données physiologiques relatives à la paternité sont découvertes, qu’on associe un partenaire mâle à la Terre Mère, indique l’auteur. Les Grecs et les Romains, par exemple, font un rapprochement entre terre arable et matrice, entre travail agricole et acte procréateur. Dans certaines langues du sud de l’Asie, le même mot désigne le phallus et la bêche, ou encore la source et le vagin.

Les divinités agraires, partenaires masculins de la Terre Mère, vont finir par éclipser le principe féminin, mais le mythe ne sera jamais éliminé. Si, dans le judaïsme, Yahvé est un mâle sans partenaire, le christianisme ressuscite le mythe sous la forme de la Vierge Mère.

Victime pendant un temps de la suprématie des divinités mâles imposées par les religions abrahamiques, le culte de la Terre Mère renait présentement de ses cendres avec la reféminisation de l’image de Dieu apportée, notamment, par le féminisme religieux, le nouvel âge et le néochamanisme. On n’échappe pas aux lois de la nature.

Daniel Baril



 
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