Édition du 30 mai 2005 / volume 39, numéro 31
 
  «Aimes-tu mieux ta mère ou ta mère?»
88 enfants du Québec ont officiellement deux mamans

Alain Roy

Selon des données inédites obtenues de l’Institut de la statistique du Québec, 88 enfants nés au Québec depuis 2003 ont deux mères, soit la femme qui a accouché du bébé et la conjointe de cette dernière. Cette filiation est inscrite sur l’acte de naissance.

Selon le juriste Alain Roy, la double maternité soulève des questions extrêmement importantes, non seulement sur le plan juridique, mais également sur les plans social, anthropologique et psychologique. «Le Québec est le seul endroit dans le monde où l’on trouve une chose pareille», lance-t-il.

Parallèlement au débat national sur le droit des homosexuels à accéder au mariage, la filiation homoparentale a fait son chemin jusque dans la loi québécoise. En principe, un lien de filiation bipaternelle pourrait aussi exister, mais, comme le recours aux mères porteuses est actuellement illégal, les situations de «bipaternité» ne peuvent devenir réalité qu’au terme d’un jugement d’adoption. Or, peu d’enfants sont actuellement offerts à l’adoption au Québec, ce qui fait obstacle au projet des couples gais. À l’échelle internationale, la plupart des pays s’opposent radicalement à l’adoption de leurs orphelins par des couples de même sexe.

Bien que des lois interdisent la maternité de substitution ou le clonage humain, il semble que la réflexion éthique sur l’homoparentalité n’a pas suivi l’évolution de la science et du droit. Qu’on parle de procréation médicalement assistée ou de procréation «amicalement assistée» dans le cas des homosexuelles, on assiste à une redéfinition de la parenté. «Ce n’est plus le droit de l’enfant, c’est le droit à l’enfant», regrette le juriste.

Nouvelle filiation et capacité parentale

Sommes-nous allés trop vite? Oui, déclare Alain Roy. Le législateur a créé un nouveau concept de filiation, «sans aucune racine anthropologique, sociologique ou biologique». Alors que la discussion sur la filiation homosexuelle n’a jamais eu lieu, elle est juridiquement possible.

Dans son analyse publiée récemment dans la revue Enfances, familles, générations (Conseil de développement de la recherche sur la famille du Québec, automne 2004), le professeur de la Faculté de droit déplore l’absence de débat sur une question aussi fondamentale. «En quelques semaines [juin 2002], écrit le professeur Roy, le législateur du Québec a profondément bouleversé les fondements d’une institution millénaire.»

Le Québec est le seul endroit dans le monde, dit le juriste Alain Roy, où la loi permet à la conjointe de la mère biologique d’être reconnue comme mère elle aussi.

Alain Roy tient à préciser qu’il ne doute pas que des couples homosexuels puissent être de bons parents. «Plusieurs études empiriques démontrent qu’un enfant évoluant auprès de figures parentales homosexuelles aimantes se développe adéquatement. Fort d’un tel constat, l’État était certainement justifié d’aménager un cadre juridique à l’endroit de ceux et celles qui, injustement ignorés par le droit, ne pouvaient formellement prendre part aux décisions concernant leur enfant de fait. On peut facilement comprendre le désarroi vécu par la personne qui, privée de toute reconnaissance légale, ne pouvait ni consentir aux soins requis par l’état de santé de son enfant, ni procéder à son inscription à l’école, ni bénéficier des prérogatives dont dispose généralement un parent durant la vie commune et, éventuellement, à l’occasion de la séparation ou du divorce.»

Cela dit, il y a une marge entre consacrer juridiquement l’engagement des conjoints de même sexe à l’égard d’un enfant et être reconnu sur son extrait de naissance comme «comère» ou «copère». L’état civil d’un être humain revêt une signification particulière dans le développement de son identité. «L’acte de naissance, c’est un document qui prouve l’existence sociale d’un enfant, son enracinement dans la société. C’est son acte constitutionnel, indique Alain Roy. Y faire figurer le nom de deux hommes comme pères ou de deux femmes comme mères, c’est créer une petite révolution dans la généalogie…»

La légalisation de la filiation homoparentale s’inscrit-elle dans le meilleur intérêt de l’enfant? C’est ce qu’a prétendu le ministère de la Justice pour justifier sa réforme en 2002. Mais «aucune étude empirique réalisée auprès d’enfants filialement liés à deux mères ou à deux pères n’a été produite au soutien de ces prétentions et pour cause: le Québec fait office de pionnier en la matière», nuance Alain Roy.

Les hétérosexuels préfèrent l’union civile

Spécialiste du droit familial depuis 15 ans, Alain Roy est l’auteur de plusieurs articles scientifiques et d’un livre remarqué sur le sujet, Le contrat de mariage réinventé (Thémis, 2002). Il s’est beaucoup intéressé aux nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité. En observant les statistiques, il a eu la surprise de constater que l’union civile créée par le législateur du Québec en réponse aux besoins en matière d’encadrement juridique des gais et lesbiennes obtenait plus de succès auprès des hétérosexuels que des homosexuels… En 2004, sur les 174 unions civiles célébrées, 95 étaient formées d’hétérosexuels, soit 55 % des couples. La tendance semble s’être accentuée en 2005: sur les 16 unions civiles recensées, 11 étaient formées de couples hétérosexuels, soit 69 %!

Qu’est-ce qui peut bien amener un couple hétérosexuel à favoriser l’union civile au détriment du mariage? s’interroge Alain Roy. Le mode de dissolution plus convivial que comporte l’union civile par rapport au mariage est souvent évoqué. En effet, remarque-t-il, les conjoints sans enfants unis civilement ont le droit de mettre fin à leur union devant notaire, contrairement aux époux, qui doivent inévitablement passer par le tribunal pour obtenir leur divorce. Une telle hypothèse lui parait toutefois peu vraisemblable. «Si l’on peut admettre que le divorce est une procédure parfois lourde et couteuse, il est tout de même difficile de croire qu’un couple désireux de s’engager légalement choisira l’union civile par rapport au mariage en raison du fait que le processus de séparation est plus expéditif et coute moins cher!»

La seule nuance qu’on pourrait peut-être apporter ici concerne les deuxièmes ou troisièmes unions, où généralement les conjoints font preuve d’une plus grande lucidité. Pensons à des personnes de 50 ans qui ont vécu un ou plusieurs divorces dans le passé et qui voudraient éviter de revivre cette expérience, le cas échéant.

L’autre explication possible a trait à la valeur symbolique du mariage. «Si les couples homosexuels tiennent tant au mariage en raison de l’héritage culturel et social qui l’accompagne, on peut croire que des couples hétérosexuels le rejettent pour les mêmes raisons.»

En tout cas, l’universitaire qui enseigne le droit de la famille ne s’ennuie pas. Dans son secteur, le postmodernisme est un terrain fertile.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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