Édition du 30 mai 2005 / volume 39, numéro 31
 
  La santé commence avant la naissance
Plusieurs maladies de l’adulte ont une origine utérine, soutient le nutritionniste de renommée internationale David Barker

Beau, bon et bien gras

Le chercheur britannique David Barker, le premier à établir un lien entre la coronaropathie et la malnutrition prénatale, a prononcé une conférence au Département de nutrition le 20 avril dernier. 

M. Barker a mené une étude auprès de 15 000 personnes nées avec un poids insuffisant et constaté une forte incidence des maladies du cœur chez celles-ci. D’autres études sont venues confirmer sa théorie appelée «hypothèse de Barker», selon laquelle l’environnement prénatal et périnatal influe sur les probabilités d’être atteint d’une maladie plus tard dans la vie.

«Il est le père de la théorie de la programmation fœtale et une figure de proue en nutrition», remarque le chercheur Christian Deschepper, qui a assisté à la conférence de M. Barker en compagnie d’étudiants et de membres du Département de nutrition. Cette théorie s’oppose à celle voulant que les maladies qui ne sont pas provoquées par des comportements nocifs soient liées à des facteurs génétiques.

David Barker estime que la science s’intéresse trop à la génétique et pas assez au développement fœtal et infantile, un stade pourtant critique quant à l’occurrence de certaines affections. À l’aide de diapositives montrant huit nouveau-nés de poids très différents, il explique que la dénutrition peut amener certains gènes à emprunter une voie totalement imprévue, ce qui se traduit par des expressions génétiques parallèles. «Les fonctions génétiques sont conditionnées par l’environnement nutritionnel durant les premières phases de la vie », précise-t-il.

La plupart des cas qu’il a étudiés portent sur les maladies résultant de la dénutrition maternelle. Par exemple, si une femme ne s’alimente pas adéquatement durant les 30 à 34 premières semaines de sa grossesse, les organes du fœtus qui ne sont pas sollicités pendant la gestation, comme les reins, sont sacrifiés et ne se développent pas suffisamment. À l’âge adulte, ces organes déficients doivent compenser leur faiblesse par une activité accrue, ce qui augmente les risques de maladie.

Une autre de ses théories énonce que les nouveau-nés dont le poids est inférieur à la norme risquent davantage d’être atteints de certaines pathologies s’ils souffrent d’embonpoint par la suite. Affaibli par la dénutrition maternelle, l’organisme est soumis à un stress accru.

Les futures mamans ont intérêt à surveiller leur alimentation, car la malnutrition prénatale favorise certaines maladies du cœur.

Dans ses ouvrages, David Barker souligne l’importance de réduire les facteurs de risque liés à la coronaropathie, aux accidents vasculaires cérébraux, au diabète et à l’hypertension. Parmi ses recommandations figurent le maintien d’un poids santé au cours de la période précédant la conception, un régime alimentaire sain pour toutes les jeunes femmes et le maintien d’un poids équilibré chez les enfants qui, nourrissons, présentaient une insuffisance pondérale.

M. Barker critique sévèrement les politiciens occidentaux, qui selon lui ont une vision simpliste des facteurs à l’origine des maladies. «Tout le monde croit que les gens sont responsables de leur état de santé et que, s’ils sont malades, c’est qu’ils fument, boivent ou mangent trop. Les politiciens peuvent ainsi blâmer les malades et mettre sur le compte de la génétique tout ce qu’ils n’arrivent pas à expliquer», a-t-il déclaré à Forum avant la conférence. 

On pourrait croire que David Barker réserve ses critiques les plus dures à l’endroit des entreprises alimentaires puisque ce sont elles qui produisent les produits montrés du doigt dans la dénutrition prénatale et périnatale. Or, son avis sur la question est tout autre. «Les entreprises alimentaires produisent à grande échelle de la nourriture bon marché et exempte de pathogènes. Ce n’est déjà pas si mal. Le problème, c’est qu’elles se disputent un marché fixe dans lequel les enfants finissent par manger des morceaux de bacon en forme de dinosaure», dénonce-t-il. Il dit espérer qu’un plus grand nombre de compagnies mettent sur le marché des produits nutritifs.

M. Barker, qui expose ses théories dans son livre The Best Start (traduit et publié en français sous le titre Un bon départ dans la vie), travaille à l’Université de Southampton, en Grande-Bretagne, ainsi qu’à l’Université des sciences de la santé de l’Oregon. Il consacre une bonne partie de son temps à exercer des pressions auprès des gouvernements britannique et américain et soutient que les résultats de ses recherches militent en faveur de l’adoption d’une nouvelle stratégie de prévention de l’obésité.

M. Barker affirme cependant que plusieurs politiciens refusent d’élaborer une politique publique en matière de nutrition, car ils craignent qu’une telle initiative porte atteinte aux libertés fondamentales. Il cite à contrario la France, qui selon lui se préoccupe davantage de la santé de ses citoyens.

C’est notamment grâce à David Barker que le National Institute of Child Health and Human Development, aux États-Unis, a mis au point un plan stratégique pour 2005-2010 qui intègre certaines des idées chères à M. Barker. Le plan prévoit des mesures de soutien à la recherche sur le rôle de la nutrition maternelle dans le développement du fœtus. M. Barker signale que cette orientation a permis à d’importants projets d’imagerie de voir le jour et indique que les États-Unis sont désormais prêts à prendre au sérieux la théorie voulant que les choix nutritionnels de la mère aient une influence sur la santé de l’enfant devenu adulte.

Transnut, l’unité de recherche du Département de nutrition, a récemment été désignée comme centre collaborateur de l’OMS. Ce nouveau statut permettra aux chercheurs du centre de mener des travaux d’envergure internationale sur les habitudes alimentaires et leur incidence sur le développement. Hélène Delisle, professeure titulaire au Département, espère que David Barker y lancera bientôt un projet de recherche fondé sur ses théories.

Philip Fine
Traduit de l’anglais
par Simon Hébert



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement