Édition du 13 juin 2005 / volume 39, numéro 32
 
  Un monde sans agression ne serait pas le paradis!
Richard Tremblay a dirigé le premier ouvrage traitant des origines développementales de l’agression

Richard Tremblay

«L’agressivité est une donnée fondamentale de la force des humains et un monde sans agression physique ne serait pas forcément le paradis.» Par ces propos, Richard Tremblay, titulaire de la Chaire de recherche sur le développement de l’enfant, renverse totalement l’image qu’on se fait habituellement de l’agressivité.

Encore considérée dans les sciences sociales comme un effet de l’environnement, l’agressivité est aux yeux du professeur une composante essentielle de la survie qu’il nous faut apprendre à maitriser par la socialisation. «L’agressivité est un besoin de l’être humain», affirme-t-il.

Sans agressivité, l’espèce n’aurait évidemment pu survivre ni même exister. Si, dans nos sociétés, nous n’avons plus besoin d’attaquer pour nous nourrir, nous demeurons évidemment le produit de l’environnement où notre génome a été retenu par la sélection naturelle.

Professeur au Département de psychologie, Richard Tremblay n’en croit pas moins à l’influence de l’éducation pour amener l’enfant à apprendre à tempérer son agressivité. Ses travaux montrent que le nombre de gestes violents est à son maximum autour de l’âge de 20 mois et diminue par la suite même si l’enfant est exposé à de plus en plus de gestes violents au fur et à mesure qu’il vieillit.

«Ce fait, qui est maintenant bien accepté, va à l’encontre des attentes fondées sur la perspective sociale, souligne le professeur. Si l’agressivité venait de l’apprentissage, ce serait au cours des 18 à 24 premiers mois de la vie que l’enfant devrait être en contact avec le plus grand nombre de gestes agressifs! L’enfant qui n’aurait pas de contacts sociaux devrait quant à lui être moins agressif, mais c’est le contraire qui est observé. C’est aussi le cas chez les primates: si l’on isole des macaques dans l’enfance, ils deviennent plus agressifs par la suite.»

Par ailleurs, le chercheur ne connait pas de cas d’adolescents qui seraient subitement devenus agressifs sans l’avoir été au cours de l’enfance.

Agressivité indirecte: le propre de l’être humain

Richard Tremblay a dirigé la publication du premier volume présentant l’ensemble des données développementales sur l’agression. Sous le titre Developmental Origins of Agression, l’ouvrage met à contribution 34 chercheurs internationaux, dont 16 du Québec, et fait le point sur les aspects à la fois évolutionnistes, génétiques et sociaux de l’agressivité et de son contrôle.

Plusieurs des travaux présentés ont été menés au Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant, dont le professeur Tremblay est directeur. L’ensemble des recherches porte sur cinq cohortes totalisant 28 000 enfants.

Le volume ne traite pas que de l’agressivité physique; il aborde également l’agressivité verbale, qui est une forme d’agression secondaire propre à l’espèce humaine. «L’agression verbale repose sur les mêmes bases que l’agression physique et vise le même but: attaquer ou se défendre, indique Richard Tremblay. Par l’agression indirecte, on évite de se frapper, mais on peut aussi détruire des réputations. Cette forme d’agression peut être très vicieuse et se révéler pire qu’un coup de poing.»

L’agressivité verbale qui permet d’éviter la violence est omniprésente dans les sociétés humaines, y compris chez les intellectuels, et causerait autant de tort que l’agression physique. «Un monde sans agression physique ne serait donc pas le paradis», fait-il remarquer.

L’agression indirecte commence vers l’âge de trois ou quatre ans, au moment où les enfants forment des groupes et rejettent ceux qu’ils ne veulent pas parmi eux. Les jeunes filles apprennent plus tôt que les garçons à ne pas utiliser la force physique et recourent donc plus rapidement, et plus fréquemment, à l’agression verbale. Pour le professeur Tremblay, ceci serait dû au fait que le développement cognitif s’effectue généralement plus tôt chez les filles et qu’elles sont moins bien pourvues que les garçons pour recourir à la force physique.

Les travaux montrent par ailleurs que les enfants les plus à risque de développer un comportement violent sont ceux dont les parents sont agressifs et qui n’apprennent pas à l’enfant à contrôler ses impulsions.
«Même les tempéraments les plus agressifs arrivent à contenir leur agressivité s’ils ont été bien encadrés, signale le psychologue. Il est extrêmement rare que la socialisation ne puisse rien contre l’agressivité si le milieu a permis un apprentissage adéquat au départ.»

Génétique et apprentissage

Cette observation apporte un éclairage nuancé sur la part de la génétique et de l’environnement dans le comportement agressif. La composante génétique du tempérament agressif serait très forte, mais son expression est modulée par l’environnement social.

Outre Richard Tremblay, cet ouvrage a été codirigé par Willard Hartup, de l’Université du Minnesota, et John Archer, de l’Université du centre du Lancashire. Les autres collaborateurs de l’UdeM sont Sylvana Côté, Paul Gendreau, Éric Lacourse, Daniel Pérusse, Jean Richard Séguin et Frank Vitaro.

Daniel Baril

Sous la direction de Richard Tremblay, Willard Hartup et John Archer, Developmental Origins of Agression, New York, Guilford Press, 2005, 480 p.



 
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