Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 23 - 13 mars 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

L’âge idéal pour la maitrise d’une deuxième langue

«La meilleure façon de devenir bilingue est d’être exposé à deux langues dès la naissance.», selon Brigitte Stemmer

Brigitte Stemmer

Peut-on apprendre parfaitement une deuxième langue à l’âge adulte? Selon une hypothèse formulée dans les années 60, on ne deviendrait pas parfaitement bilingue si l’on n’apprend pas cette deuxième langue avant l’âge de neuf ans puisqu’il y aurait une diminution de la plasticité du cerveau après cette période critique. «D’après cette théorie très controversée, les zones cérébrales responsables du traitement du langage se “rigidifient” avec l’âge, rendant l’apprentissage d’une nouvelle langue plus difficile», déclare Brigitte Stemmer.

Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer l’effet de l’âge d’acquisition sur la maitrise d’une deuxième langue, ajoute la professeure du Département de linguistique et de traduction. Une autre explication attribue par exemple la difficulté à une maturité physiologique. Ainsi, l’acquisition d’une langue étrangère se ferait d’autant plus facilement chez les enfants âgés de 2 à 13 ans. Introduit plus tard, l’apprentissage peut être ardu et la langue apprise risque de souffrir de lacunes.

Ces hypothèses du célèbre neurochirurgien Wilder Penfield et du linguiste Eric Lenneberg ont fait l’objet de plusieurs études. «Depuis, la science a montré que rien n’est aussi simple, souligne la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neurosciences et en neuropragmatique. Par exemple, on sait aujourd’hui que le cerveau continue de s’adapter même à l’âge adulte. Il y a également des facteurs sociaux et psychologiques à considérer dans l’apprentissage d’une langue étrangère ou d’une deuxième langue.»

En collaboration avec des chercheurs de l’Université de Bochum, en Allemagne, Mme Stemmer tente justement de déterminer quel est l’effet de l’âge dans l’acquisition d’une deuxième langue. «Nous voulons savoir s’il est possible pour un adulte de maitriser une langue étrangère aussi bien qu’une personne dont c’est la langue maternelle. Dans quelle mesure les facteurs émotionnels et cognitifs ont-ils une incidence sur l’apprentissage? Existe-t-il des différences cérébrales entre l’apprentissage naturel de sa langue maternelle et l’apprentissage d’une deuxième langue?»

Pour apporter des réponses à ces questions, Mme Stemmer et ses collègues évalueront les aptitudes langagières et écrites de jeunes étudiants français, anglais, arabes, espagnols et polonais inscrits dans une université allemande pour apprendre la langue de Goethe. La recherche, qui s’échelonnera sur plusieurs années, tiendra compte des différences individuelles comme les capacités d’attention et de mémorisation ainsi que de l’influence socioculturelle et du rôle de la motivation dans l’apprentissage.

Dans une seconde phase de l’étude, l’équipe recherchera des traces de la langue dans le cerveau à l’aide de l’électroencéphalogramme à haute résolution et de l’imagerie cérébrale par résonance magnétique. Grâce à ces techniques, on peut observer les zones du cerveau qui sont activées durant des tâches précises liées à la langue maternelle ou à la deuxième langue.

Le bilinguisme à la maison: un atout

«Des études suggèrent que, chez les personnes bilingues, plus la deuxième langue a été acquise jeune, plus les aires cérébrales de compréhension et de production associées aux deux langues sont similaires, signale la professeure Stemmer. Dans le cas d’une deuxième langue apprise plus tardivement, l’imagerie cérébrale révèle que ce ne sont pas toujours les mêmes aires corticales qui sont concernées dans la compréhension des deux langues.»

D’après la chercheuse, ces données semblent indiquer que plus l’exposition à une langue étrangère se fait dans les premières années de vie, plus le cerveau fait appel à sa partie langagière. «Cela pourrait expliquer pourquoi les enfants semblent posséder un don pour apprendre les langues, estime Mme Stemmer. Dans l’acquisition d’une nouvelle langue, ils ont toutes les chances d’atteindre une plus grande maitrise que des personnes plus âgées.»

Selon cette professeure d’origine allemande, le bilinguisme à la maison constitue un atout pour l’enfant. «L’apprentissage d’une autre langue à un jeune âge offre un avantage dans la mesure où l’immersion dans une culture différente peut stimuler le cerveau et amener l’enfant à relever d’autres défis intellectuels», mentionne cette polyglotte.

Même si elle a appris l’anglais, le français et l’espagnol sur le tard, elle ne croit pas que la langue maternelle soit menacée par le contact précoce avec d’autres langues. Au contraire, semble dire la chercheuse. «Il est sans doute possible d’apprendre une langue lorsqu’on est adulte, mais la meilleure façon de devenir bilingue est d’être exposé à deux langues dès la naissance.»

Dominique Nancy

 

Plurilinguisme: malédiction divine

Au Québec, l’anglais est la deuxième langue la plus apprise par les enfants francophones, selon Statistique Canada. Inscrite au programme scolaire dès la troisième année du primaire, c’est à cette période que les jeunes se familiarisent avec la langue de Shakespeare, soit vers neuf ans. Mais alors que les élèves allophones sont bilingues, souvent trilingues, voire quadrilingues, les élèves francophones parviennent difficilement à bien maitriser une deuxième langue.

«Une bonne partie de l’apprentissage d’une langue étrangère doit se faire au moyen de l’interaction sociale dans un milieu où l’élève cherche à combler ses besoins personnels et sociaux», souligne Brigitte Stemmer, professeure au Département de linguistique et de traduction. Bref, on ne parle une langue étrangère avec aisance que si on la pratique!

Toutefois, la cause du problème est peut-être plus profonde, fait remarquer la chercheuse. «D’après une théorie, selon le spectre de la fréquence dans laquelle est située notre perception, on est capable d’apprendre des langues proches de cette fréquence. Ainsi, si une langue utilise un spectre beaucoup plus large avec, à la limite, des sons qu’on ne perçoit pas, on est moins apte à apprendre cette langue.» Suivant cette idée, le français aurait un spectre relativement réduit. L’oreille francophone aurait donc plus de difficulté à percevoir des différences dans d’autres langues. Les Russes, en revanche, semblent avantagés sur ce plan.

Dommage que la théorie n’explique pas comment il se fait que l’apprentissage d’une deuxième langue soit la source d’autant de conflits ici, alors que dans bien des coins du monde les gens communiquent régulièrement dans deux, trois ou quatre langues même s’ils n’ont pas accès à un système d’éducation aussi développé que le nôtre. À croire qu’au Québec le plurilinguisme pèse sur les hommes comme une malédiction divine depuis la construction de la tour de Babel…

D.N.

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