Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 30 - 15 mai 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

vient de paraître

Les nazis pénètrent au Québec

En haut, Jean-Pierre Charland

Le vice-doyen et historien publie L’été de 1939 avant l’orage

Ruth Davidowicz, la femme d’un député fédéral, est assassinée d’un coup de révolver dans le dos à son domicile d’Outremont. Aussitôt, les soupçons se tournent vers son mari, qui a le désavantage d’être juif au moment où la Seconde Guerre mondiale menace d’éclater.

Voilà l’intrigue du dernier roman de Jean-Pierre Charland, L’été de 1939 avant l’orage, qui vient de paraitre chez HMH. Naviguant entre la fiction et la réalité, l’auteur plonge dans une époque trouble – et troublante – de l’histoire du Québec. Celle où les élites faisaient l’éloge du fascisme dans Le Devoir et L’Action catholique et où le «führer du Canada», Adrien Arcand, attirait des foules lors de ses harangues publiques.

Non, précise l’auteur, il n’y a pas eu d’assassinat d’une femme de député juif en 1939. Mais une intrigue comme celle de son livre aurait été parfaitement vraisemblable. Le roman historique fait d’ailleurs une large place à un fait authentique survenu cette année-là et qui demeure un point noir en Occident: le refus du Canada d’accueillir les 907 passagers juifs d’un navire affrété à Hambourg. Les exilés avaient payé leur place sur le bateau et étaient attendus à Cuba, mais les autorités de ce pays se sont ravisées et ont repoussé les immigrants au large à l’issue de leur voyage. Remontant la côte, ils se sont vu refuser l’entrée dans tous les ports américains et leur dernier espoir s’est porté sur notre pays. Or, l’antisémitisme sévissait ici comme ailleurs, et il n’était pas question de leur ouvrir la porte.

«En histoire, ce qu’on a oublié est souvent aussi significatif que ce qu’on a retenu», mentionne, frondeur, le professeur de didactique de l’histoire et vice-doyen aux études à la Faculté des sciences de l’éducation. Il ne cache pas que c’est la controverse autour de la thèse d’Esther Delisle, dans les années 90, qui lui a donné envie d’écrire sur le fascisme québécois. Amassant des masses de documents d’époque démontrant que les éditorialistes et commentateurs de l’entre-deux-guerres flirtaient réellement avec les régimes autocratiques d’Europe, il a longuement réfléchi à la façon de construire une trame narrative efficace. Celle qu’il a retenue lui a permis d’incarner un personnage fictif, Renaud Daigle, avocat qu’embauchera le député Arden Davidowicz pour le défendre.

Réalité et fiction

Étalant devant lui une partie des documents qui lui ont servi à planter le décor de L’été de 1939, M. Charland déclare que son roman s’appuie sur des bases solides. En effet, les Samuel Bronfman (homme d’affaires juif [1891-1971]), Paul Bouchard (fonctionnaire provincial et professeur d’université, fondateur du journal antisémite et pronazi La Nation), Athanase David (député et sénateur [1882-1953]) et Ernest Lapointe (député fédéral [1876-1941]) tiennent leur propre rôle, comme les protagonistes plus connus (dont Maurice Duplessis et Lionel Groulx). La création du personnage de Renaud Daigle permet à l’historien d’entrer en contact avec les acteurs de l’époque et même d’assister à des évènements historiques.

Le romancier décrit notamment une assemblée d’obédience nazie qui s’est tenue à Saint-Faustin, au printemps de 1939, et qui a attiré 2000 personnes. Cette rencontre a réuni des sympathisants (principalement des ouvriers et des cultivateurs) qui applaudissaient à la thèse des immigrants voleurs d’emplois et responsables de la plus grande partie des maux de la société. «Sur tous les murs pendaient de longues bandes de tissu rouge frappées d’une croix gammée sur fond blanc. Tout autour de la pièce, de petits drapeaux reprenaient le même thème», écrit Jean-Pierre Charland.

«Le Parti national chrétien d’Adrien Arcand, ouvertement pronazi, comptait 800 membres cotisants, relate l’historien en entrevue. Il avait même un journal qui tirait prétendument à 80 000 exemplaires, ce qui est nettement exagéré selon moi. Mais il reste que la popularité d’Arcand, même si elle fut brève, a été indéniable.»

Les temps étaient difficiles pour les classes laborieuses, et c’est souvent dans la disette que les discours extrémistes ont le plus d’écho, souligne M. Charland. Cela dit, les menaces et les invectives n’ont été accompagnées que de très peu d’actes violents. Quelques fenêtres fracassées, quelques graffitis. Guère plus.

Si le nazisme comme tel demeura marginal, l’antisémitisme et la xénophobie, par contre, florissaient. Ainsi, le 19 mai 1939, la ville de Verchères adopte un règlement municipal contre l’immigration. À cette époque, la Société Saint-Jean-Baptiste tient un discours très dur envers les immigrants. «Les actions violentes étaient très peu nombreuses, mais la sympathie pour le fascisme était très présente. Les journaux de l’époque en témoignent. Un exemple parmi d’autres: quand l’Espagne franquiste exécute 638 opposants au régime, on trouve à peine un entrefilet dans les journaux. Et l’on continue d’y lire des articles favorables à ce régime.»

L’élite religieuse n’était pas en reste. «Quels sont les plus grands ennemis du Christ? Lucifer et les juifs, affirme [...] un orateur de cette fameuse assemblée des Laurentides [...] Complètement désorganisé comme peuple au point de n’avoir plus sacerdoce ni religion, le juif a juré sur son âme de devenir un jour maitre du monde, le roi puissant, riche et dominateur de tous les peuples.» C’est à l’abbé Jean-Baptiste Beaupré qu’on attribue cette diatribe.

«Je voulais devenir écrivain»

Auteur prolifique, Jean-Pierre Charland publie alternativement des ouvrages de création, des manuels scolaires et des livres savants. À titre d’exemple, il a lancé au cours des derniers mois, en plus de ce roman de près de 500 pages, une Histoire de l’éducation au Québec (ERPI) et un roman historique, Un pays pour un autre (Septentrion). En 2004, Forum (numéro du 6 décembre, p. 6) avait fait état d’un autre roman ayant pour cadre le milieu universitaire, La souris et le rat (Vent d’ouest).

En choisissant la fiction pour aborder l’épisode de 1939, l’auteur affirme avoir été respectueux de l’histoire. «Bien sûr que j’ai inventé des personnages et des dialogues, mais l’essentiel est là. Mon personnage principal nous permet de circuler à travers différentes situations qui ont bien eu lieu.»

Pour celui qui se décrit comme un grand lecteur de romans «depuis toujours», L’été de 1939 avant l’orage permet de combiner deux pans de sa personnalité. «J’aurais bien voulu devenir écrivain lorsque j’étais jeune. On m’en a dissuadé. Je suis donc devenu historien. Mais avec le temps, il était inévitable que mes deux passions se rejoignent.»

Mathieu-Robert Sauvé

Jean-Pierre Charland, L’été de 1939 avant l’orage, Montréal, HMH, 2006, 492 pages, 27,95$.

 

 

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