Presque toutes les escortes sexuelles ont déjà eu un autre emploi

Nadim Nachar

Voici une donnée qui en étonnera plus d’un: les femmes qui offrent des services sexuels par l’intermédiaire d’annonces ou d’agences d’escortes ont eu, en moyenne, leur premier contact sexuel monnayé à l’âge de 27 ans et demi. Par comparaison, les prostituées de rue entrent dans la profession 10 ans plus tôt.

C’est l’un des éléments qui ressort de l’étude de Nadim Nachar, codirigée par Christopher Earls, professeur au Département de psychologie, et Karine Côté, de l’Université du Québec à Chicoutimi. L’étudiant présentait les résultats de son enquête au congrès de l’ACFAS le 18 mai.

«Plusieurs études ont été effectuées sur les facteurs psychosociaux qui conduisent à la prostitution de rue, mais aucune n’avait jusqu’ici exploré les facteurs liés à la prostitution exercée ailleurs que dans la rue», a mentionné Nadim Nachar. C’est donc dans le but de brosser un tableau plus complet de ce milieu méconnu qu’il a entrepris cette recherche.

Un milieu différent

Au total, 37 femmes proposant des services sexuels contre rémunération (c’est la définition de la prostitution) ont accepté de participer à l’étude. Le groupe était composé en parts égales de femmes qui travaillent seules au moyen de petites annonces et de femmes qui font affaire avec une agence. «Le taux de réponses positives a été très élevé», a précisé l’étudiant.

Aucune différence significative n’est apparue entre les deux façons d’opérer, mais cette forme de prostitution se distingue très nettement de la prostitution de rue, dont les données proviennent de travaux du professeur Earls.

En plus d'avoir eu leur première relation sexuelle rémunérée à un âge plus élevé, les femmes qui travaillent comme escortes sont âgées en moyenne de 31 ans et demi, comparativement à 27 ans pour les prostituées de rue.

Une minorité d’escortes (13,5%) ont toutefois aussi connu la prostitution de rue, mais là encore leur âge quand elles sont entrées dans le monde de la prostitution les distingue, soit 24 ans par rapport à 17 ans et demi pour celles qui ont toujours travaillé dans la rue.

Le milieu familial d’où sont issues les prostituées de rue est plus perturbé: 36% ont été témoins d’actes de violence physique entre leurs parents et 42% en ont elles-mêmes été victimes; du côté des escortes, ces taux sont respectivement de 21,6% et de 32%. Les premières ont quitté la maison à 14 ans et les secondes à 17 ans.

Fait étonnant, deux fois plus de prostituées disent avoir vécu de la violence en contexte d’escorte qu’en contexte de rue.

Dans les deux types de prostitution, l’âge du premier contact sexuel est le même, soit 10 ans. Similitude également entre les deux groupes pour ce qui est de la première expérience sexuelle complète, qui a eu lieu, en moyenne, à la fin des 14 ans. Une proportion relativement semblable a eu des rapports sexuels avec un ou des membres de sa famille, soit 24% pour les escortes et 26% pour les prostituées de rue.

L’élément le plus important de cette étude est le fait que la presque totalité des escortes, soit 92%, a déjà eu un emploi autre que celui de l’offre de services sexuels ou érotiques. Plus de 21% des répondantes exerçaient d’ailleurs des activités autres que la prostitution au moment de l’entrevue.

«Pour 95% des répondantes, le revenu est la principale raison pour laquelle elles ont choisi la prostitution, affirme M. Nachar. Leur itinéraire de vie les rend également vulnérables et les prédispose à demeurer dans ce milieu.»

Il faudrait en outre abandonner l’idée voulant que les escortes sont une caractéristique des grandes agglomérations: les données ci-dessus ont été recueillies à... Chicoutimi, une ville de 60 000 habitants. Selon Nadim Nachar, le profil psychosocial des escortes serait le même dans une métropole comme Montréal.

Aux yeux de l’étudiant, les différences observées entre escortes et prostituées de rue montrent la pertinence de distinguer ces deux formes de prostitution et de poursuivre les recherches dans l’étude de ces différences.

Daniel Baril