Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 14 - 4 DÉCEMBRE 2006
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 Archives de Forum

L’obésité pourrait s’expliquer par un syndrome de manque

Stephanie Fulton étudie les mécanismes neurobiologiques similaires entre la surconsommation de nourriture et la dépendance aux drogues

Chez la souris, quand la quantité de leptine est faible, l’ingestion de nourriture augmente, d’où la prise de poids.

Une étude d’une chercheuse du Département de pharmacologie vient de mettre en évidence que la surconsommation de nourriture et la dépendance aux drogues pourraient partager des mécanismes neurobiologiques similaires. Cette recherche dont les résultats ont été publiés dans la revue Neuron en septembre 2006 ouvre de nouvelles pistes dans la compréhension de l’obésité.

«Nous avons démontré que la leptine, une hormone synthétisée par les tissus adipeux et régulant l’appétit, agit sur une région du cerveau qui a un rôle à jouer dans les comportements de dépendance», rapporte Stephanie Fulton. Son étude est l’une des premières à établir clairement que la leptine cible de façon précise cette zone cérébrale du renforcement.

Cette région cérébrale, l’aire tegmentale ventrale (ATV), produit la dopamine, un neurotransmetteur lié à la motivation. «C’est la partie du cerveau responsable du plaisir pour à peu près tout, le sexe comme la drogue», signale la chercheuse de 34 ans qui poursuit présentement un postdoctorat au laboratoire du professeur Louis-Éric Trudeau. Elle y étudie le fonctionnement des neurones dopaminergiques.

Accros de la nourriture
Chez les toxicomanes, le système dopaminergique est activé dans leur système nerveux lorsqu’ils consomment de la cocaïne ou de l’alcool. «Héroïne, cocaïne, amphétamines et alcool agissent sur le système nerveux central en augmentant la signalisation de dopamine dans le cerveau. C’est un des mécanismes qui contribuent à l’impression de satisfaction, indique Stephanie Fulton. Bien que ces différentes drogues aient des effets physiologiques et psychologiques différents, elles semblent toutes laisser une trace dans le cerveau, à la manière d’une mémoire à long terme.»

Les travaux récents de Stephanie Fulton apportent un élément important dans la compréhension de l’embonpoint.

Selon la chercheuse – dont le point de vue est de plus en plus partagé par les experts –, l’accoutumance ne serait pas seulement causée par le produit. Elle résulterait aussi de l’expérience qu’elle procure. «La dépendance aux drogues se développe à la suite d’une consommation répétée, dit- elle. À la longue, cette action modifie le fonctionnement du système. Il se crée alors un syndrome de manque. Cette privation associée au souvenir d’une sensation de plaisir fournit la motivation et favorise la répétition du comportement.»

Ses travaux, menés sur des souris obèses, l’amènent maintenant à penser qu’il existe un lien entre cette recherche de bien-être et le comportement alimentaire compulsif. Tout comme chez les toxicomanes, il pourrait exister une certaine dépendance à la nourriture chez les personnes obèses.

Leptine et appétit
Depuis la découverte en 1994, par une équipe de l’Université Rockefeller à New York, du gène ob et de l’hormone qu’il produit, la leptine, la question de l’obésité a fait l’objet d’une pléthore d’études. Les mécanismes associés à l’alimentation semblent toutefois plus complexes à mesure que la science les décortique… «On sait depuis longtemps que des facteurs psychoaffectifs, par exemple l’anxiété et le stress psychologique, peuvent influer sur le comportement alimentaire, souligne Stephanie Fulton. De même, l’arôme, le gout et l’aspect des aliments peuvent inciter à manger plus que nécessaire.»

Depuis son doctorat en neurobiologie sous la direction des professeurs Peter Shizgal et Barbara Woodside, à l’Université Concordia, elle scrute le cerveau de rongeurs pour tenter d’approfondir la compréhension du phénomène. En 2000, cette Québécoise d’origine anglophone a réussi un coup de maitre lorsqu’elle a publié dans la revue Science les résultats de ses travaux sur la leptine.

«La leptine est une hormone produite par les cellules adipeuses, proportionnellement à la masse adipeuse. Cette hormone agit sur les systèmes centraux de régulation de la prise alimentaire, notamment sur l’hypothalamus. La leptine constitue ainsi un signal informant le cerveau sur le niveau d’énergie de l’organisme», explique-t-elle. En clair, quand le cerveau des souris détecte une forte concentration de leptine, il permet aux rongeurs de moins manger et d’être plus actifs. À l’inverse, quand la quantité de leptine est faible, la prise alimentaire des rongeurs augmente, ce qui induit une prise de poids.

Chez l’être humain, les cas d’obésité liés à une mutation du gène ob sont toutefois très rares. Il semble que l’obésité soit associée à une résistance à l’action de l’hormone. «La leptine étant synthétisée de façon proportionnelle à la masse adipeuse, son taux chez les personnes obèses est très élevé, mentionne la chercheuse. Cette forte concentration de leptine induit alors une résistance à l’action biologique de l’hormone, c’est-à-dire que l’effet anorexigène de l’hormone dans le cerveau est grandement diminué. Ce phénomène pourrait être à la base de la surconsommation de nourriture.»

Avec le plaisir de la recherche comme leitmotiv, Stephanie Fulton poursuit sa quête. L’enjeu? Rien de moins qu’une meilleure compréhension des mécanismes en jeu dans la dépendance.

Dominique Nancy

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