Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 14 - 4 DÉCEMBRE 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Où en est le «modèle québécois de gouvernance»?

Malgré l’instrumentalisation de la participation du public, l’engagement social du citoyen demeure le même, observe Pierre Hamel

Pierre Hamel et Bernard Jouve, Un modèle québécois? Gouvernance et participation dans la gestion publique, PUM, 2006.

La notion de gouvernance, ou d’interrelation entre l’État et la société civile, est à la mode depuis quelques années. C’est sous cet angle que Pierre Hamel, professeur au Département de sociologie, et Bernard Jouve, anciennement de l’UQAM, ont choisi d’analyser l’évolution de la participation des citoyens à la gestion publique québécoise depuis les années 60.

Leurs observations, tirées d’analyses bibliographiques et d’une vingtaine d’entretiens avec des membres de conseils d’administration d’établissements scolaires et de santé, font l’objet d’une publication récente aux Presses de l’Université de Montréal (PUM): Un modèle québécois? Gouvernance et participation dans la gestion publique.

Trois étapes
Le «modèle québécois» de la participation publique s’est mis en place en deux étapes. «Dans les années 60, la modernisation de l’État et de ses institutions était vue comme le moteur de la modernisation de la société, rappelle Pierre Hamel. Ce modèle keynésien basé sur l’interventionnisme était centré sur la bureaucratie et laissait peu de place à la participation. Dans les années 70, les groupes constituant la société civile ont réclamé une plus grande participation au fonctionnement des institutions publiques. C’est ainsi que nous avons eu les CLSC, les garderies populaires, les radios communautaires, les coopératives d’habitation et les comités de parents dans les écoles.»

La première phase de la modernité au Québec s’est donc déroulée sous le mode de l’«étatisation de la société» alors que la deuxième phase se définit plutôt par la «socialisation de l’État». Selon l’expression des deux auteurs, nous faisions dans les années 70 de la gouvernance sans le savoir. Cette participation citoyenne plaçait nos institutions à l’avant-garde de ce qui se faisait ailleurs sur le continent et ils y voient une expérience réussie d’appropriation de l’État.

Pierre Hamel

Pierre Hamel

Ce modèle construit sur le partenariat entre la société civile et les appareils d’État a de nouveau été mis en question dans les années 90, mais cette fois par les tenants du néolibéralisme et dans le contexte de la mondialisation des marchés. On accuse, ici comme ailleurs dans le monde, les institutions publiques d’être inefficaces et inadéquates.

Pierre Hamel et Bernard Jouve trouvent paradoxal que le discours des réformateurs actuels se réclame de la gouvernance en semblant faire fi de l’histoire récente. «Si la participation fait partie du code génétique de l’État québécois, de quel projet le thème de la gouvernance est-il porteur?» se demandent-ils.

À leurs yeux, le discours néolibéral instrumentalise la participation publique.«La nécessité de trouver de nouvelles ressources financières amène l’instrumentalisation de la participation publique, affirme le professeur Hamel. La société civile est appelée à cogérer la remise en question de l’État-providence et notamment la pénurie des ressources budgétaires.»

Dans les centres de santé, par exemple, on aurait recours au secteur communautaire pour des raisons économiques et l’on compte sur les représentants de la communauté pour assurer une médiation que les professionnels ne peuvent plus assumer. Dans les écoles, on compte sur la participation des parents pour obtenir de nouvelles sources de revenus afin d’assurer la tenue d’activités parascolaires.

Le modèle néolibéral souffre alors d’un paradoxe; tandis que ses tenants préfèreraient se passer de la gouvernance – comme on l’a vu dans la transformation des conseils régionaux de développement en conférences régionales des élus –, l’État ne peut se passer de la participation du public. Les auteurs y voient un aveu de l’incapacité des autorités politiques à gérer seules, comme elles le souhaiteraient, les services de santé et d’éducation.

L’engagement demeure
Malgré ce danger d’instrumentalisation de la gouvernance, les citoyens qui prennent part à la gestion des institutions publiques n’ont pas délaissé les buts qui les y ont conduits.

«Sur le terrain, on constate un dynamisme et de la générosité chez ceux qui sont engagés aux côtés des professionnels, souligne Pierre Hamel. Dans les centres de santé, les représentants des usagers continuent de prendre part à la définition des objectifs, de partager l’information avec les autres membres de leur communauté et de contribuer au mieux-être collectif. On est loin d’une approche de sous-contractant et ces valeurs donnent un sens à leur engagement.

«Même chose dans les écoles, poursuit le professeur, où des parents peuvent choisir des contenus d’enseignement ou des activités pédagogiques répondant à leurs attentes.»

S’engager activement dans la communauté, expérimenter l’interculturalisme au quotidien, œuvrer à la gouverne du Québec sont autant de motifs de mobilisation constatés sur le terrain.

«Il faut donc se méfier de deux fausses perceptions, conclut le sociologue. La première est la vision romantique, qui laisse penser que la participation est merveilleuse: la participation ne remplace ni les ressources financières ni le besoin de spécialistes. La seconde est la vision désenchantée et cynique, qui occulte la capacité subversive de la participation.»

Daniel Baril     

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